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Un pesticide interdit depuis plus de dix ans en Europe demeure légal au Canada
L’agence de Santé Canada responsable d’évaluer les pesticides sur la base des risques sur la santé et l’environnement est sur le point de prendre une décision quant à l’avenir de l’atrazine.
L’atrazine est un pesticide abondamment employé dans les cultures de maïs; or, son usage répandu demeure préoccupant. Connue pour ses effets nocifs sur les écosystèmes aquatiques incluant le changement de sexe chez la grenouille, cette substance est également associée à des anomalies congénitales, des problèmes de reproduction, et certains types de cancers chez l’humain.
Équiterre fait d'ailleurs circuler une pétition pour faire interdire l'atrazine au Canada, comme l'a fait l'Union européenne depuis plus de 10 ans.
L’atrazine fait l’objet d’une réévaluation, mais sur quoi Santé Canada se fonde-t-il?
Agissant au nom de la Fondation David Suzuki et d’Équiterre, Écojustice a déposé une poursuite légale en 2013, ce qui a déclenché la réévaluation de 23 pesticides déjà interdits dans d’autres pays, incluant l’atrazine, un puissant perturbateur endocrinien dont les effets nocifs peuvent se manifester à de très faibles niveaux d’exposition. L’atrazine a été banni en Europe en 2003 en raison de préoccupations concernant la contamination généralisée des eaux souterraines.
Il est actuellement possible de dénombrer 13 produits contenant de l’atrazine dont l’usage est permis au Canada. Ils sont couramment employés dans les cultures de maïs en Ontario, au Québec, et dans certaines régions du Manitoba. Néanmoins, des cas de contamination aquatique ont également été rapportés en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, et en Saskatchewan.
La procédure de réévaluation de l’atrazine en cours constitue une occasion unique pour le Canada d’interdire ce dangereux pesticide. Malheureusement, la décision que s’apprête à prendre l’agence de réglementation maintiendrait l’homologation de l’atrazine, et ce, malgré une importante quantité de données scientifiques démontrant ses effets nocifs sur la santé des humains et des écosystèmes. Ces faits scientifiques alarmants devraient pourtant suffire à entraîner son interdiction totale au Canada.
Une procédure de réévaluation limitée est inadéquate
La décision que l’agence de réglementation envisage de prendre ne tient compte que des impacts de l’atrazine sur les eaux souterraines et l’eau potable, et néglige de la sorte les risques que cette substance engendre pour la santé humaine et écosystémique. Un pesticide ne peut être homologué sans que l’agence de réglementation ait persuadé la ministre fédéral de la Santé que le niveau de risque pour la santé et l’environnement demeure acceptable.
Écojustice, l’Association canadienne des médecins pour l’environnement (ACME), la Fondation David Suzuki, Équiterre et Environmental Defence ont demandé à l’agence d’accroître l’étendue de la procédure de réévaluation de l’atrazine de manière à ce qu’elle tienne également compte de la contamination des eaux de surface, de même que des risques pour les écosystèmes et la santé humaine.
Au sud de la frontière, l’atrazine essuie des critiques
Une évaluation du risque écologique publiée en 2016 par l’Environmental Protection Agency (EPA) aux États-Unis a conclu que l’atrazine constituait une menace pour la presque totalité des organismes vivant dans les zones où cette substance est abondamment employée.
Selon l’évaluation du risque menée par l’EPA, les taux d’application permis au Canada induisent un niveau de risque inacceptable pour les poissons, les invertébrés et les plantes. En fait, les doses considérées acceptables au Canada pour l’épandage terrestre sur le maïs sont cinq fois plus élevées que les quantités que l’EPA juge préoccupantes pour la vie aquatique. Le rapport d’évaluation de l’EPA mentionne également que l’atrazine pose une menace pour la santé des mammifères, des oiseaux, des reptiles et des plantes aquatiques. Cette évaluation s’appuie sur des données scientifiques accumulées sur plusieurs décennies, incluant les travaux du biologiste étasunien Tyrone Hayes qui ont mis en lumière les effets de l’atrazine sur le système reproducteur de la grenouille, et que Syngenta, l’entreprise qui fabrique l’atrazine, a tenté de discréditer à maintes reprises.
Les effets sur la santé humaine et la santé au travail sont négligés
Au Canada, l’atrazine a été détecté dans les eaux de surface à des concentrations qui excèdent les seuils sécuritaires mentionnés dans l’évaluation du risque menée par l’EPA. En fait, la concentration seuil jugée préoccupante par cette dernière agence équivaut seulement à 19 % de la dose actuellement permise au Canada pour la pulvérisation des cultures de maïs.
Fréquemment détecté dans les eaux traitées et non traitées, l’atrazine se retrouve ultimement dans les réseaux municipaux d’eau potable. Plusieurs Canadiens dépendent des eaux de surface pour combler leurs besoins en eau potable, une situation qui touche d’ailleurs 81 % des Québécois. Des études ont révélé que les concentrations d’atrazine dans les eaux de surface canadiennes excèdent les recommandations canadiennes en matière de qualité de l’eau potable et de protection de la vie aquatique. L’exposition à de telles concentrations est particulièrement préoccupante au vu des données scientifiques indiquant que l’atrazine est relié à certains types de cancers, de même qu’à des problèmes reproductifs et développementaux.
Outre le fait de négliger la contamination des eaux de surface, la procédure de réévaluation canadienne n’a pas non plus tenu compte des risques pour la santé des travailleurs et des membres des communautés agricoles, bien qu’il soit notoire que ces individus sont davantage exposés que la population générale.
La responsabilité légale de protéger notre santé et notre environnement
Il existe une quantité accablante de données prouvant que l’atrazine est néfaste pour la santé humaine et l’environnement. S’il ne tient pas compte de ces faits, le gouvernement canadien ne peut pas prendre de décision éclairée quant à l’avenir de l’atrazine.
L’agence canadienne de réglementation en matière de pesticides doit saisir l’occasion et prendre exemple sur l’Europe en interdisant l’atrazine au Canada. Si une telle interdiction n’est pas décrétée, il faudra peut-être attendre des années avant que ce pesticide soit réévalué. L’agence devrait rendre sa décision au mois de mars de cette année. Si tout se passe bien, nous pourrons mettre une croix sur l’atrazine une bonne fois pour toutes.
Dr. Elaine MacDonald, Écojustice,, Karen Ross, Chargée de projet Pesticides et Toxiques, Équiterre, Muhannad Malas, gestionnaires des projets toxiques, Environmental Defence, Kim Perrotta Directrice, Association canadienne des médecins pour l’Environnement.
Article publié dans le Hill Times, 13 février 2017.
Traduction par Nicolas Soumis