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Vous avez votre popcorn? Vous êtes bien assis? Allez, on va regarder un bon match de boxe ensemble. Dans le coin droit, un colosse de 6 pieds 6 pouces, 250 livres, même pas de bédaine, que du muscle. Dans le coin gauche, un frêle petit homme de 5 pieds 2 pouces, 115 livres (tout mouillé). Ajoutons à ce scénario, que le petit devra respecter rigoureusement les règles du jeu : que des coups de poings au-dessus de la ceinture SVP. Pas de règles pour le colosse! Tous les coups lui seront permis.
Le petit a-t-il une chance de gagner? Sans doute que non. Voilà pourquoi on classe les athlètes en fonction de leur poids et qu’on édicte des règlements.
(En passant, je n’ai jamais regardé un match de boxe de ma vie, même pas celui entre Trudeau et ce fameux sénateur conservateur, mais je trouvais qu’il s’agissait d’une belle analogie pour ce qui suit.)
Non, non, ne quittez pas votre siège, il reste encore du popcorn. Imaginons maintenant une nouvelle confrontation. Dans le coin droit, une entreprise. Mais pas le dépanneur du coin! Kinder Morgan, le plus grand opérateur de pipelines du continent. Dans le coin gauche, un citoyen. Ok, soyons plus juste cette fois-ci, disons 20 000 citoyens!
Pour simplifier l’histoire – comme le fait toujours Hollywood - ajoutons que les citoyens sont tous regroupés au sein d’un organisme avec un statut de bienfaisance.
Qui va gagner ce combat? Déjà, c’est plus juste, non? Bon, il y a un colosse, mais au moins, ils sont 20 000 à le combattre! Et pourtant, les règles démocratiques qui encadrent ce combat sont toutes aussi injustes que mon combat fictif de boxe.
Kinder Morgan a des ressources presque inépuisables pour tenter de convaincre le gouvernement d’approuver son projet de 7,5 milliards de dollars. Elle peut se payer de la publicité à la télévision, autant de lobbyistes qu’elle le souhaite, des consultants qui rédigeront des rapports scientifiques qui lui sont favorables, etc. Les 20 000 citoyens peuvent se cotiser, disons à coup de 50 $ chacun. Donc en partant, ils ont moins d’argent. En revanche, ils ont la force du nombre.
Les citoyens ont choisi de se regrouper au sein d’un organisme de bienfaisance pour bénéficier d’un rabais d’impôt de 30 % lorsqu’ils font leur petit don de 50 $. C’est généreux de la part du gouvernement d’offrir ce rabais, non? En fait, pas vraiment puisque Kinder Morgan, elle, peut déduire 100 % de ses dépenses!
Première règle injuste.
Qui plus est, un organisme de bienfaisance ne peut consacrer plus de 10 % de ses ressources à des activités publiques comme de la publicité, l’envoi de courriels ou de communiqués de presse et même des publications dans les médias sociaux. Donc 10 % de 1 million de dollars (50 $ X 20 000) nous donne 100 000 $. Cela fait 100 000 $ pour les citoyens contre les millions de dollars de Kinder Morgan en publicité, en relations médias et en lobbyistes de tous genres.
Deuxième règle injuste.
Et ce n’est pas tout.
Kinder Morgan peut dire ce qu’elle veut publiquement sur son pipeline et au sujet du gouvernement. Elle peut dire que son pipeline est la meilleure idée au monde, elle peut affirmer que ce pipeline sera propre, propre, propre et elle peut dire que le gouvernement serait fou de ne pas l’approuver.
Le groupe de citoyens lui, doit s’assurer que tout ce qu’il dit publiquement soit « raisonnée ». Il ne pourrait pas affirmer, par exemple, que le pipeline va finir par avoir des fuites qui vont contaminer l’eau sans citer une étude scientifiquement valide qui confirme ce fait (même si c’est le gros bon sens).
Troisième règle injuste.
Kinder Morgan, ou ses dirigeants, pourrait, pour autant qu’elle respecte les lois électorales, soutenir financièrment le parti politique au pouvoir. Elle pourrait aussi intervenir publiquement pendant une élection en faveur d’un parti ou contre un autre. Qui plus est, elle pourrait faire de la publicité pour promouvoir son projet même si un seul parti politique y est favorable incitant indirectement les électeurs à voter pour ce parti.
Si le groupe de citoyens faisait la même chose, il pourrait perdre son statut de bienfaisance et, à toute fin pratique, se faire mettre en faillite par Revenu Canada puisqu’un organisme de bienfaisance ne peut être ni directement ni indirectement partisan.
Quatrième règle injuste.
Entre 2012 et 2016, le gouvernement Harper a utilisé ces règles anti-démocratiques pour harceler et intimider les groupes qui étaient contre les pipelines. Le gouvernement Trudeau a promis de changer ces règles, mais le seul geste qu’il a posé jusqu’à maintenant est de lancer une consultation sur les activités politiques des groupes ayant un statut de bienfaisance. Cette consultation se résume à peu de choses près à définir comment on pourrait rendre le site Web de Revenu Canada plus compréhensible par les 86 000 groupes qui sont soumis à ces règles...
Le premier ministre Justin Trudeau, qui s’y connait quand même un peu en boxe, devrait s’intéresser davantage aux règles du débat démocratique. Il serait dommage que les groupes environnementaux se fassent retirer leur statut de bienfaisance par le gouvernement qui veut devenir un leader mondial sur le climat...