Par Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales, Équiterre
Avec comme toile de fond la fumée qui persistait malgré les valeureux efforts de tout le personnel disponible, d’ici et d’ailleurs, pour combattre les feux de forêt, le gouvernement fédéral a dévoilé le 27 juin dernier sa stratégie d’adaptation.
Si ce ne sont pas les feux, ce sont les inondations ou les glissements de terrain causés par de fortes pluies, le verglas qui terrasse nos arbres, nos lignes et pylônes électriques ou encore les vagues de chaleur, qui ont des conséquences parfois funestes. Ces bouleversements malmènent aussi notre économie en mettant à l’arrêt les activités des entreprises le temps de permettre le rétablissement. La diminution du temps de rétablissement des collectivités touchées grâce au renforcement des mesures d’adaptation fait d’ailleurs partie des cibles de la stratégie.
Cette stratégie arrive donc à point nommé pour un pays qui se réchauffe plus rapidement que le reste de la planète et qui doit de plus en plus composer avec les conséquences qui s’y rattachent.
Diminuer la vulnérabilité
Ouranos rapportait récemment que : « les experts craignent fortement que la température moyenne annuelle à la surface de la planète, pour chaque année entre 2023 et 2027, soit supérieure de 1,1 à 1,8 °C à la moyenne de la période de référence de 1850-1900 ». Bref, nous atteignons en ce moment le seuil critique de 1,5 degré de réchauffement. C’est le temps d’attacher sa tuque avec de la broche malgré la canicule parce que ça va brasser.
Ce qu’on constate de plus en plus, c’est que nos gouvernements perdent progressivement l’emprise sur les orientations politiques parce qu’ils doivent répondre aux urgences du moment, en lien avec des phénomènes météo extrêmes, dopés aux changements climatiques. On indemnise les agriculteurs pour les sécheresses ou les inondations. On indemnise les évacués des feux de forêt, tornades, ouragans ou inondations. On constate béatement l’envol des coûts de la nourriture, des matières premières et des primes d’assurance.
Dans ce contexte, une stratégie s’impose : l’adaptation. Mais soyons clairs, s’adapter n’équivaut pas à abdiquer. Les mesures de lutte aux changements climatiques, comme la tarification carbone, le plafonnement des émissions de GES du secteur pétrolier et gazier ou la réglementation sur les carburants propres, demeurent hautement pertinentes. Mais la complémentarité des mesures d’adaptation ne devrait plus faire de doute pour nos gouvernements, ou ceux qui aspirent à gouverner. Et il faut mettre les bouchées doubles.
Du concret, rapidement
La stratégie dévoilée par le gouvernement fédéral identifie notamment des cibles à atteindre pour protéger la santé et assurer la sécurité des gens et de nos infrastructures. Elle est basée sur des indicateurs pour mesurer l’évolution des besoins en adaptation. Avec son horizon à court terme, ses cibles et ses indicateurs précis, la stratégie fédérale vise à faire rapidement bouger les choses, en collaboration avec les autres paliers de gouvernement.
D’ailleurs, en misant notamment sur des plans d’action bilatéraux avec les provinces, le fédéral forcera peut-être la main du gouvernement du Québec, qui n’a pas renouvelé sa propre stratégie d’adaptation à l’échéance de celle-ci en… 2020. On ne peut tout simplement plus se permettre de faire l’impasse sur l’adaptation. C’est trop risqué et coûteux.
Avec l’aide de la stratégie fédérale d’adaptation, on sera en mesure de juger du niveau d’adaptation nécessaire pour, par exemple, éliminer complètement d’ici 2040 les décès liés aux vagues de chaleur en répertoriant, notamment, le nombre de logements et d’institutions dotés de climatisation.
Dès 2026, on construira des immeubles plus résilients, grâce à un nouveau code du bâtiment. On fera des investissements plus stratégiques quand, en 2024, la résilience aux effets des changements climatiques sera prise en compte dans tous les nouveaux programmes fédéraux de financement des infrastructures. On pourra offrir une protection accrue contre les îlots de chaleur et les inondations grâce à de nouveaux parcs urbains aménagés d’ici 2030.
Sur papier, c’est du solide. Il ne reste plus maintenant qu’à livrer la marchandise, ce qui n’est pas gagné d’avance quand il s’en trouve encore — en 2023 — à lutter pour la survie d’une case de stationnement, au détriment d’infrastructures de transport actif.
Une modernisation essentielle
Finalement, la mise en œuvre de la stratégie d’adaptation ne devra pas se limiter au cadre de référence existant. En prévoyant la modernisation des accords d’assistance financière en cas de catastrophe, le gouvernement fédéral devra, par exemple, s’assurer que les inondations urbaines soient désormais couvertes par les programmes d’assistance financière — ce qui n’est pas le cas actuellement.
Bien sûr, pour être cohérents, on cesserait idéalement d’approuver les nouveaux projets d’exploitation d’énergie fossile. Mais dans l’intervalle, tant qu’on misera simplement sur la décarbonation des secteurs économiques actuels, sans transformation fondamentale des habitudes de consommation, il nous faudra de robustes mesures d’adaptation. La stratégie fédérale s’inscrit dans ce sens. En espérant que le Québec et les autres provinces et territoires seront au rendez-vous, pour éviter de perdre complètement le contrôle.