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Le récent débat relatif à l’achat possible de 40 000 hectares de terres agricoles canadiennes par des investisseurs chinois illustre une importante problématique mondiale : l’achat massif et la spéculation autour de cette ressource, symptôme de la popularité des biocarburants et de la crise alimentaire de 2008. Environ 180 négociations d’achat ou de location de terres ont cours actuellement dans le monde. Si la situation au Québec est un peu différente grâce à certaines protections offertes par la loi, cette demande pourrait accentuer la tendance déjà présente d’une hausse du prix des terres, les investisseurs pouvant transiger via des intérêts déjà établis ici. Corollairement, cela pourrait accroître la difficulté pour la relève de s’établir en agriculture, problématique déjà bien palpable ici comme ailleurs et malheureusement occultée par le présent débat.
Au Québec, il faudrait qu’environ 1 100 jeunes s’établissent en agriculture chaque année pour conserver à long terme le nombre actuel de fermes. Or, la relève se situe plutôt entre 600 et 800 et stagne depuis plusieurs années. Et la tranche des exploitants âgés de 35 ans et moins a diminué de 20,8% entre 2001 et 2006.
Parmi les causes de cette problématique figure le prix croissant des terres agricoles. Dans son tout dernier rapport sur la valeur des terres agricoles québécoises, la Financière agricole du Québec nous apprenait qu’au cours de la dernière décennie, la valeur moyenne des terres cultivables transigées (les superficies cultivables, transigées sans bâtiments) s’est accrue de 48 %, passant de 5 061 $/ha en 2000 à 7 488 $/ha en 2009. Cette valeur a plus que quadruplé depuis 1990. De plus, comparativement aux années précédentes, la hausse de 822 $/ha remarquée en 2009 compte parmi les plus importantes. Pour les productions sous gestion de l’offre, la hausse du prix des quotas constitue un frein majeur. À titre d’exemple, une ferme laitière de taille moyenne a une valeur marchande d’environ 2,5 millions $, dont près de 1,5 million $ alloué pour le quota seulement.
De plus, en limitant le morcellement des terres, l’interprétation restrictive de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA) empêche ou rend très difficile le démarrage d’une entreprise agricole de petite taille, même lorsque les compétences professionnelles et la viabilité sont au rendez-vous. Or certaines productions, en maraîchage biologique par exemple, ne nécessitent pas de grandes surfaces, mais elles n'en sont pas moins rentables et dynamisantes pour les économies régionales.
À l’heure où le gouvernement s’apprête à déposer sa toute première politique agricole suite à la Commission Pronovost, des gestes concrets s’imposent afin de favoriser l’établissement de la relève, si critique pour assurer la pérennité de l’agriculture. La protection du territoire agricole est de la plus haute importance, mais il est crucial que le gouvernement mette en oeuvre les recommandations du rapport Pronovost et prenne des mesures afin d’adapter l’application de la LPTAA au démarrage d’entreprises agricoles utilisant de plus petites superficies. Parallèlement, dans les productions assujetties à la gestion de l’offre, la création de mécanismes pour limiter le prix des quotas et faciliter l’établissement de la relève est cruciale.
La mise en place de mesures permettant de lever les obstacles à l’établissement de la relève est urgente afin d’assurer la pérennité de la vocation agricole des terres. Cultiver la terre et l’utiliser à des fins agricoles, n'est-ce pas là une des meilleures façons de la protéger, chose impossible sans relève ?