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Comment faire pour que l’alimentation locale soit plus qu’une mode

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Les menaces tarifaires de Donald Trump ont poussé la population québécoise à renouer davantage avec les aliments d’ici. Rapidement, les termes «autonomie alimentaire» et «achat local» ont fait un retour fulgurant dans l’actualité et dans nos vies. Mais pour combien de temps encore?

L’exemple de la pandémie

C’est qu’on a déjà joué dans un film similaire il n’y a pas si longtemps. Rappelez-vous, dans les premières années de la pandémie, les chaînes d’approvisionnement étaient sans dessus-dessous et on avait peur de manquer de nourriture. Résultat : on s’est tourné massivement vers l’achat local.

Pour preuve, la demande pour les paniers de légumes biologiques du Réseau des fermier(ère)s de famille a explosé durant les années pandémiques. Entre 2019 et 2020, les abonnements pour la région de l’Estrie ont bondi de 163%, passant de 754 à 1983 (1). Puis, avec la levée des mesures sanitaires et l’inflation qui montait en flèche, beaucoup d’entre nous ont graduellement abandonné leurs bonnes habitudes.

Quelques exemples concrets : la Ferme aux pleines saveurs, en Outaouais, a perdu 20% de son chiffre d’affaires entre le début de la pandémie en 2020 et son ralentissement en 2022 (2). La Ferme aux petits oignons, située dans les Laurentides, est passée de 800 abonnements à 950 durant la pandémie, pour revenir autour de 800 en 2022 (3).

🧑‍🌾 Le Réseau des fermier(ère)s de famille est l’un des plus vastes réseaux de producteurs et productrices biologiques en Amérique du Nord. Il a été fondé par Équiterre en 1996 et est devenu indépendant en 2020.

Une volatilité qui crée de l’incertitude

Ces grandes fluctuations d’engagement ont des impacts très concrets sur ceux et celles qui nous nourrissent. Quand l’achat local est populaire, certaines fermes vont ouvrir plus de parcelles, acheter plus de semences et embaucher plus de personnel. La gestion de cette croissance soudaine entraîne son lot de stress et d’anxiété et, lorsque la demande s’écroule, tout doit être revu et repensé… encore!

«Le rapport au temps est différent en agriculture», explique Enora Jeanne Cordier Le Vot, responsable des communications au Réseau des fermier(ère)s de famille. Donald Trump a le temps de changer d’idée 100 fois sur les tarifs douaniers avant qu’une carotte soit prête à être récoltée. Si les stocks sont trop importants et que l'enthousiasme n’est plus là, les invendus sont à risque. «On travaille avec le vivant», rappelle Enora.

Pourquoi privilégier les aliments locaux

Que l’on soit en période d’incertitude économique ou non, les paniers bio représentent une option intéressante pour le portefeuille puisque leur prix est fixé au début de la saison. «Les accords commerciaux vont influencer les prix en épicerie. Le panier, lui, est déjà payé et les fermier(ère)s de famille basent le prix davantage sur les coûts production que sur le marché international», souligne Enora.

De manière plus générale, soutenir une agriculture biologique de proximité génère des retombées économiques pour la communauté et des bienfaits pour l’environnement. Alors, comment faire pour pérenniser l’achat local au-delà d’une simple réponse aux crises? «Le lien humain qui se tisse entre les mangeur(euse)s et les fermiers(ère)s constitue la résilience du modèle de l'agriculture soutenue par la communauté. On évite la volatilité d'une attitude juste axée sur la consommation», répond Enora.

Une aide de l’État pour manger local

Au Québec, la Stratégie nationale d’achat d’aliments québécois a pour objectif de doter l’ensemble des institutions publiques d’une cible d’achat d’aliments québécois. Des programmes d’alimentation scolaire permettent aussi aux enfants du Québec d’avoir accès à des aliments sains et locaux.

🍽️ Équiterre a mis sur pied le projet Commun’assiette qui réunit les acteurs et actrices de l’alimentation institutionnelle pour faciliter l'intégration d’aliments sains, locaux et écoresponsables dans leurs menus.

Mais au-delà de l’institutionnel, les gouvernements ont-ils un rôle à jouer pour inciter davantage la population à manger local? «Oui, comme on a pu le voir durant la pandémie, mais c’est dommage qu’ils soutiennent l'achat local uniquement durant les périodes de crise», répond Enora.

Pour véhiculer ce soutien, les gouvernements pourraient peut-être financer des campagnes publicitaires qui mettent en valeur l'agriculture de proximité, comme ils le font déjà pour la promotion du français.

Développer notre résilience alimentaire

Il y aussi l’enjeu de l’accessibilité. On ne peut pas en vouloir aux gens de ne pas acheter suffisamment d’aliments locaux s’ils ne sont pas disponibles à proximité. C’est là que des initiatives comme le Réseau des fermier(ère)s de famille entrent en jeu : «On propose une alternative pour sortir des épiceries et s'approvisionner localement, pour bâtir un système alimentaire durable, solidaire et résilient», explique Enora.

Actuellement, le boycott des produits américains incite les commerces à mettre de l’avant les aliments locaux et c’est très bien. Mais rappelons qu'il est possible de s'approvisionner en dehors des épiceries et de retrouver des produits savoureux qui ne répondent pas uniquement aux critères dictés par les grandes bannières, notamment en ce qui concerne l’apparence des aliments.

Finalement, dans les médias et dans notre entourage, on doit parler davantage des aliments de chez nous et des options alternatives où se les procurer. «On s'inscrit dans un mouvement social de soutien à l'agriculture. C’est nécessaire pour notre résilience alimentaire pour faire face aux différentes crises», conclut Enora.

S’engager pour de vrai

Il faut cesser «d’encourager» notre agriculture quand ça fait notre affaire et plutôt s’engager auprès d’elle sur le long terme. Pas seulement par opportunisme, mais par conviction que c’est meilleur pour notre santé, notre portefeuille, notre environnement et notre économie sur le long terme.

On doit collectivement cesser de se tourner vers notre agriculture de proximité juste quand ça va mal.

Chacun et chacune a son rôle à jouer pour manger local durablement, et non au gré du vent.


1. Chiffres fournis par le Réseau des fermiers et fermières de famille.
2. Sabourin, Benoit. Après deux ans d'engouement, des fermiers de famille perdent des plumes. Le Droit, 28 juin 2022.
3. Chiffres fournis par le Réseau des fermiers et fermières de famille.