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Opinion  •  3 min

La transition, une excuse qui a le dos large

Colleen Thorpe

Executive Director

Published on 

Nous sommes inquiets du projet de loi omnibus 81 actuellement à l’étude par l’Assemblée nationale : sous couvert d’accélérer le déploiement d’infrastructures « vertes » et au nom de la transition énergétique, le gouvernement ouvre des brèches dans le socle de prévention sur lequel repose le cadre législatif environnemental du Québec, à savoir le processus d’évaluation des impacts pour des projets considérés comme présentant des risques élevés.

Autoriser avant de considérer les impacts

Après avoir ignoré les appels à un débat public et structuré sur l’avenir énergétique du Québec, le gouvernement propose d’autoriser la réalisation de travaux préalables pour des projets à impacts élevés avant d’avoir complété l’examen des impacts qui comprend une consultation publique devant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (le BAPE). Cette proposition vient directement miner la crédibilité et l’intégrité de la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement et le processus décisionnel qui doit mener à l’autorisation ou au refus d’un projet.

Comment le public peut-il maintenir sa confiance envers le processus et envers le ministère de l’Environnement si l’évaluation d’un projet débute alors que les pépines sont déjà sur le terrain et les routes d’accès déjà tracées ? Si, d’emblée, le refus de certains projets semble écarté, la capacité du gouvernement à respecter ses obligations envers la population et l’environnement est compromise.

Le projet de loi prévoit aussi que certains projets à risques environnementaux élevés pourraient carrément être exemptés de la procédure d’évaluation des impacts à l’issue d’une évaluation régionale ou sectorielle. Ainsi, on pourrait imaginer qu’une série de mines seraient autorisées dans une même région en mode accéléré — sans évaluation d’impacts et sans consultation publique spécifique à chaque projet — parce qu’elles sont considérées commestratégiques et parce qu’elles découlent d’une évaluation régionale tenue des années auparavant.

L’omnibus, un outil législatif controversé

Ces modifications sont d’autant plus troublantes qu’elles sont proposées dans un projet de loi omnibus. L’omnibus, qui modifie plusieurs lois en même temps, est un outil controversé parce qu’il est trop souvent utilisé pour éviter d’importants débats publics sur des sujets de fond. L’omnibus rend difficile l’identification des ramifications d’un projet de loi. Ici, ces modifications ont des effets majeurs.

Sans même avoir invité en commission parlementaire certains acteurs directement concernés, comme les syndicats, le gouvernement contourne la logique même de prévention qui est censée être au cœur du régime d’autorisation environnementale du Québec (et qui a déjà été réformé en 2017 après de nombreuses consultations).

Faire vite, mais faire bien

L’argument des délais du processus d’évaluation des impacts est un épouvantail dressé qui ne nous semble reposer sur aucune argumentation solide et qui en soi ne saurait justifier de tels contournements, d’autant plus que le projet de loi propose déjà de réduire considérablement la durée du processus. Quels bénéfices tirerons-nous à aller vite si c’est pour exacerber la crise climatique et celle de la biodiversité qui coûteront déjà des milliards à la société québécoise ? Quel est l’intérêt de gagner quelques mois pour des projets qui, eux, laisseront leurs marques sur le territoire pendant des décennies ?

Oui, il faut aller vite. Pour consulter la population afin d’opérer une transition qui soit cohérente, durable et inclusive et pour écouter les scientifiques qui s’époumonent à nous alerter sur ces points de bascule que nous sommes en train de franchir, et dont notre vie dépend.

S’il y a une leçon à tirer des tensions sociopolitiques chez nos voisins du Sud, c’est bien celle de l’importance de baliser l’exercice du pouvoir et de préserver nos institutions démocratiques et le lien de confiance avec la population. C’est une question de droits.

Cettre lettre d'opinion a été initialement publiée dans Le Devoir le 18 février 2025.

*Ont aussi cosigné cette lettre : Geneviève Paul, directrice générale, CQDE ; André Bélanger, directeur général, Fondation Rivières ; Denis Bolduc, secrétaire général, Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec ; Dominique Daigneault, présidente, Conseil central du Montréal métropolitain (CSN) ; Alice-Anne Simard, directrice générale, Nature Québec ; Béatrice Alain, directrice générale, Chantier de l’économie sociale ; Malorie Flon, directrice générale, Institut du Nouveau Monde ; Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin, présidente, Association québécoise des médecins pour l’environnement ; Sylvain Lafrenière, coordonnateur, Regroupement des organismes en défense collective des droits ; Martin Vaillancourt, directeur général, regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec ; Alain Branchaud, directeur général, SNAP Québec ; Sabaa Khan, directrice générale, Fondation David Suzuki ; Anne-Josée Laquerre, directrice générale et co-coordinatrice, Québec Net Positif ; David Roy, directeur général, Ateliers pour la biodiversité ; Rodrigue Turgeon, avocat, coresponsable du programme national, MiningWatch Canada ; Chantal Levert, coordinatrice générale, Réseau québécois des groupes écologistes ; Claudia Fiore-Leduc, chargée de campagne, Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) ; Karel Ménard, directeur général, Front commun pour une gestion écologique des déchets ; Thibault Rehn coordonnateur, Vigilance OGM ; Rébecca Pétrin, directrice générale, Eau Secours ; Bruno Detuncq, membre du comité de coordination, Regroupement vigilance énergie Québec ; Normand Léo Beaudet, porte-parole, Coalition Alerte à l’Enfouissement Rivière-du-Nord — CAER ; Martin Poirier, cofondateur, NON à une marée noire dans le Saint-Laurent ; Marie-Claire Binet, présidente, L’Assomption en transition ; Francis Waddell, co-porte-parole, Demain Verdun ; André Bélisle, président, Association québécoise de la lutte contre la pollution atmosphérique ; Gabrielle Spenard-Bernier, codirectrice, Mères au front ; Alexandre Petitclerc, président, Ligue des droits et libertés ; Émilie Charbonneau, vice-présidente, Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux ; Michel Girard, vice-président, Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec ; Jean-Pierre Finet, analyste et porte-parole, Regroupement des organismes environnementaux en énergie ; Bernice Chabot-Giguère, directrice générale, Association des biologistes du Québec.