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Vendredi, on épinglera à ma robe un insigne blanc et rouge en forme de flocon de neige : l'Ordre du Canada.
Je tiens à exprimer ma gratitude pour cette haute distinction. Elle ne me revient cependant qu'en partie. Je la dois à mes collègues et amis d'Équiterre et de nombreuses autres organisations qui oeuvrent à une suite du monde plus équitable et plus écologique. Je la dois à tant de citoyens engagés de multiples façons. Il ne ferait pas si bon vivre sans tous ces gens lumineux qui, pour beaucoup, travaillent dans l'ombre. C'est avec eux tous que je partage cet honneur.
La devise de l'Ordre du Canada étant Desiderantes meliorem patriam, « ils veulent une patrie meilleure », je ne peux m'empêcher de réfléchir à ce que l'on entend par meilleure, et ce, même si ma première patrie demeure le Québec.
Les inégalités augmentent
L'OCDE estime que le Canada figure parmi les pires nations industrialisées en ce qui a trait à la croissance de l'écart du revenu. D'un océan à l'autre, le nombre des sans-abris a décuplé de façon aussi importante que celui des voitures de luxe. L'endettement devient de plus en plus insoutenable pour une classe moyenne dont les revenus stagnent. Le gouvernement conservateur aura beau avoir planté la hache dans Statistique Canada et bâillonné les scientifiques, la réalité subsiste, cinglante.
À l'international aussi, le gouvernement canadien se désengage. Il est passé de défenseur de la paix et du développement durable à celle de cancre de la coopération internationale.
Le poids de la dette environnementale
Non seulement la course à la prospérité de ce pays est inéquitable, mais en plus, elle hypothèque la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins. Notre santé est de plus en plus affectée pas la pollution. La biodiversité s'effrite. Le climat se réchauffe.
Il faut savoir que la croissance de l'économie canadienne repose largement sur l'extraction de pétrole des sables bitumineux. Un modèle de développement « sale » que la planète ne peut se permettre sans basculer dans des changements climatiques extrêmes. Cette industrie est à ce point polluante, que le Canada est devenu la cible des écologistes du monde entier. Nous habitons un des cinq endroits dans le monde où se joue l'avenir écologique de la planète. Nous avons toute une responsabilité! Là encore, les conservateurs ont beau bâillonner les scientifiques, la réalité subsiste, alarmante.
Transition économique
Pour devenir cette « patrie meilleure », dont parle la devise de l'Ordre, il faut impérativement sortir de l'obscurantisme idéologique actuel. La recherche et l'analyse scientifique doivent orienter les politiques publiques, et non pas les lobbys pétroliers et financiers, comme c'est le cas actuellement. Il est urgent de s'attaquer aux causes des problèmes sociaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés. Ce qui nous mène obligatoirement à questionner le modèle économique dominant qui externalise les coûts environnementaux et sociaux tout en privatisant les bénéfices économiques.
Une telle remise en cause et l'élaboration d'un projet de transition économique exigent du courage, de l'intelligence et de la créativité. Les scientifiques, les humanistes, les autochtones, les artistes, les entrepreneurs, les gens qui oeuvrent sur le terrain d'une économie écologique et sociale ont beaucoup à nous apprendre sur le sens profond du mot prospérité. Sur les moyens à prendre pour en faire une réalité. Car les moyens nous les avons. Ce qui nous manque, c'est une volonté sans faille. J'ose espérer qu'ensemble nous saurons l'animer.
Nous devrons d'abord déterrer la tête du Canada du fin fond des sables bitumineux où elle est enfouie depuis 2006. Nous pourrons ensuite sérieusement parler de « patrie meilleure ».
Fini le temps des autruches.
Laure Waridel
Source : lapresse.ca