Published on
Racisme et environnement : quel rapport ?
Vous avez entendu parler de catastrophes environnementales comme le scandale de l’eau contaminée à Flint au Michigan ou l’ouragan Katrina. Mais saviez-vous que plusieurs problèmes environnementaux, comme dans ces deux situations, touchent davantage les personnes et les communautés racisées ? C’est ce qu’on appelle le racisme environnemental.
Dans le cadre de la Semaine d’actions contre le racisme, du 21 au 31 mars, voici un bref survol de cet enjeu aux vastes implications.
C’est en 2014 que les habitants de la ville de Flint commencent à se plaindre de l’odeur et de l’apparence suspecte de l’eau qui coule de leur robinet. Plusieurs rapportent des problèmes de peau et une perte de cheveux. À l’époque, pour faire des économies, la municipalité avait décidé de s’approvisionner à l’eau de la rivière voisine plutôt que de payer pour importer de l’eau de la ville de Detroit.
On apprendra finalement que la mauvaise qualité des aqueducs et le traitement insuffisant de l’eau a exposé plus de 100 000 personnes à de l’eau contaminée. Les concentrations de plomb, qui atteignaient 10 fois le seuil recommandé par l'Agence de protection de l'environnement, ont entrainé des déficiences cognitives chez de jeunes enfants et des taux de fausses couches anormalement élevées chez les femmes enceintes. Douze personnes sont mortes de la légionellose, infectés par une bactérie dans l’eau.
La municipalité a nié la contamination de son eau pendant 18 mois, même après qu’une étude ait validé le taux de plomb élevé chez les enfants de Flint.
Le hic ? Selon les chiffres de 2010, la population de Flint est composée à 56,6% d’Afro-Américains. C’est aussi une ville très pauvre qui a beaucoup souffert de la chute de l’industrie automobile aux États-Unis.
Si le racisme n’est pas la seule cause dans cette affaire, la Commission des droits de la personne du Michigan a pointé du doigt un problème de discrimination dans son rapport: « Un mélange complexe de racisme historique, structurel et systémique combiné à des préjugés inconscients ont mené à des décisions, des actions et des conséquences à Flint qui n’auraient pas pu se produire dans des communautés à majorité blanche. »
De façon similaire, l’ouragan Katrina, qui a fait plus de 1200 victimes en 2005, a touché durement la Nouvelle-Orléans en Louisiane. Les deux-tiers de ses résidents sont Afro-Américains. Et le quart vit sous le seuil de la pauvreté. Les plus pauvres –majoritairement des Afro-Américains- vivaient aussi dans les quartiers les plus vulnérables aux inondations au moment du drame.
Le gouvernement des États-Unis a été critiqué pour sa réponse lente, alors que des victimes attendaient toujours du renfort plusieurs jours après la catastrophe. Mais même le président à l’époque, George W. Bush, a reconnu, dans un discours à la nation suivant le drame, qu’ «il y a aussi une pauvreté profonde et persistante dans cette région. Et que cette pauvreté a ses racines dans une historique de discrimination raciale qui coupe des générations de l’opportunité de l’Amérique ».
Ces exemples ne sont pas uniques. Les déplacements de population, les problèmes de pollution ou de contamination touchent de façon disproportionnée les communautés racisées.
Comme la Commission des droits de la personne du Michigan l’a noté dans le cas de Flint: «Nous ne suggérons pas que les personnes qui ont pris des décisions dans le cadre de cette crise sont racistes ou qu’elles avaient l’intention de traiter Flint différemment parce qu’il s’agit d’une communauté racisée. La réponse est plutôt le résultat d’un préjugé implicite et d’une historique de racisme systémique qui s’inscrit dans la fondation de Flint».
Plus près de nous, d’autres cas dérangent
C’est le cas de la communauté autochtone ojibwe d’Aamjiwnaang (Sarnia, Ontario). Avec ses 57 usines et raffineries, on la surnomme la «chemical valley», à cause du cocktail chimique qui y flotte dans l’air. La garderie de la communauté possède une sirène qui retentit quand l’air est trop pollué pour éviter que les enfants sortent dehors. Les taux de cancer y sont inquiétants, l’asthme y est prévalent et les femmes font plus de fausses couches.
En 2017, un rapport interne du ministère de l’environnement de l’Ontario dévoile que le ministère fait la sourde oreille depuis des années dans le dossier et qu’il ignore les inquiétudes de ses propres ingénieurs quant au risque de fuites des industries et des conséquences possiblement irréversibles sur la santé. Le gouvernement promet alors d’améliorer la qualité de l’air à Aamjiwnaang. Mais un an après, les résidents ne voient encore aucun changement concret.
À Montréal, ce sont la poussière, le dynamitage et l’odeur des déchets qui a nuit tour à tour à la qualité de vie des habitants de ce qui est aujourd’hui le quartier Saint-Michel. À partir des années 50, plusieurs immigrants s’y installent et travaillent comme ouvriers sur le site des carrières Francon et Miron. L’autoroute métropolitaine s’ajoute ensuite au paysage et augmente le bruit et la pollution de l’air. En 1968, la carrière devient aussi un dépotoir et on commence à remplir une partie du trou laissé par la carrière Miron avec des déchets. Des odeurs nauséabondes envahissent le quartier. La population grandit avec notamment une immigration importante d’Haïti. La crise économique des années 80 gâte les choses et accentue la pauvreté et l’exclusion. Sans compter l’hôpital Saint-Michel qui ferme ses portes quelques années plus tard. Et alors que la Ville de Montréal reporte sa promesse de cesser l’enfouissement des déchets en 1994, elle propose aussi en parallèle un nouveau site de compostage, toujours actif à ce jour.
Depuis, la TOHU, la cité des arts du cirque, a aussi pris sa place sur le site à un moment où Saint-Michel était l’un des quartiers les plus défavorisés du Canada. C’était la première fois qu'une entreprise non polluante s'installait dans la communauté. Sans être une panacée, le projet a permis des investissements majeurs pour revitaliser le quartier.
Encore des dépotoirs
Plus à l’est, la Dre Ingrid Waldron et Louise Delisle de l’organisme Rural Water Watch travaillent avec les communautés rurales de la Nouvelle-Écosse, en particulier les communautés noires et autochtones, pour permettre aux résidents d’apprendre à tester la présence de contaminants dans leur eau.
Plusieurs des communautés qu’elles visitent vivent près de dépotoirs ou d’incinérateurs à déchets qui contaminent la nappe phréatique et l’air. Encore une fois, le nombre de cancers inquiète et on y recense plusieurs cas de maladies auto-immunes.
La Dr Waldron travaille en ce moment sur le projet ENRICH : une recherche pour cartographier les communautés racisées ou autochtones et y superposer l’emplacement des sites d’enfouissement et autres projets industriels de la province. Le résultat est frappant.
Prochaine étape : l’organisme milite avec les membres de la communauté pour faire adopter le projet de loi 111 en Nouvelle-Écosse, une loi pour s’attaquer au racisme environnemental. Le projet de loi propose une consultation publique pour rejoindre en priorité les communautés afro-canadiennes, Mi’kmaw et acadiennes touchées par le racisme environnemental.
Au niveau du Canada, des avocats militent pour que le droit à un environnement sain soit reconnu, comme c’est déjà le cas dans 110 pays. On approche du but. En 2017, le Comité permanent de l’environnement et du développement durable a proposé une révision majeure de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Le Comité recommandait entre autres de reconnaitre le droit à un environnement sain. La révision de la loi repose maintenant entre les mains du gouvernement canadien.
Si le gouvernement fédéral n’en est pas encore là, le Canada a tout de même entrepris une réforme majeure de ses processus d’évaluation environnementale.
Les nouvelles évaluations prévoient entre autres considérer les répercussions d’un projet sur les communautés autochtones et d’assurer le respect de leurs droits. En plus des effets sur l’environnement, on devra aussi tenir compte des impacts économiques et sociaux d’un projet et de ses effets sur la santé.
L’analyse prendrait aussi en compte une comparaison entre les sexes, ce qui constitue une avancée majeure (par exemple, les Nations Unies reconnaissent que les femmes dans le monde sont davantage vulnérables aux changements climatiques).
Afin d’arriver à une réelle justice environnementale, on doit aussi reconnaitre que les personnes à faible revenu, les communautés autochtones, les personnes racisées et les personnes marginalisées sont davantage exposées à des problèmes environnementaux et qu’elles ont moins accès à de bonnes conditions de vie : espaces verts, transport en commun, aliments sains. Nous devons ainsi déterminer si l’accès à un environnement sain ou les risques environnementaux sont répartis de façon juste sur le territoire. Et en tenir compte dans l’évaluation des projets, dans nos choix d’aménagement ou dans l’allocation des ressources. Ces facteurs doivent non seulement être considérés, mais il faut statuer sur des conditions minimales à respecter pour éviter que des décisions soient prises au gré des aléas politiques.