Colleen Thorpe
Executive Director
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Chaque année, le mois de mai est le moment d’une rencontre entre le ministre de l’Agriculture du Québec, l’industrie agroalimentaire et diverses organisations interpellées par l’importance d’« alimenter notre monde ».
À un moment où la précarité de nos systèmes alimentaires se fait sentir de plein fouet – prix galopants, pénurie de main-d’œuvre, production mondiale en déclin et sécheresses, la démarche est de bon augure.
Il y a toutefois une ombre au tableau. Elle s’exprime par un manque de cohérence des mesures pour un système alimentaire qui nourrit réellement notre santé, celle de nos territoires et qui répond à l’urgence climatique.
Pas de terres agricoles, pas d'aliments
Il faut savoir que la Politique bioalimentaire est directement liée au territoire agricole. La protection et la mise en valeur des terres agricoles pour les générations présentes et futures y côtoient des objectifs de développement des territoires.
Pourtant, à la lumière d’une longue suite de décisions gouvernementales en faveur du dézonage de terres agricoles, il apparaît évident que la balance a penché du côté du développement.
La course au développement économique, sans vision à long terme de la protection du territoire agricole, résulte en la multiplication de projets de dézonages, que ce soit le REM, l’autoroute 30, ou encore l’usine de batteries à Bécancour. Pour la période 1998 à 2018, on estime la perte de terres agricoles à 34 000 hectares. C’est l’équivalent de la ville de Gatineau !
Sachant que seulement 2 % du territoire québécois est cultivable, il est alarmant de constater autant de laxisme, d’autant plus que les villes « disposent généralement d’espaces suffisants pour combler les besoins ». À cet effet, le Comité consultatif sur les changements climatiques du Québec recommandait au gouvernement la semaine dernière de stopper l’artificialisation des milieux naturels. Ce principe est tout aussi valable pour les terres agricoles du Québec, selon nous.
Saine alimentation : des investissements qui nous font reculer
Bien que le secteur de la transformation soit un pilier économique majeur au Québec, il est aussi important de souligner que les aliments ne sont pas une simple marchandise. Ultra-transformés, ces aliments deviennent nuisibles à la santé et leur surconsommation occasionne des coûts faramineux à l’État.
Il est donc déconcertant de voir le gouvernement octroyer une subvention gouvernementale de 3 millions de dollars à la multinationale PepsiCo afin d’augmenter la capacité de production de croustilles au nom de l’autonomie alimentaire.
Au-delà de la création d’emplois à court terme, il faut considérer les conséquences négatives des aliments dont nous encourageons la production et la transformation.
La bonne nouvelle réside dans le fait que les aliments bons pour la santé le sont également pour la planète, comme l’évoquaient les experts de la commission EAT-Lancet1. Il s’agit d’aliments nutritifs, peu transformés et surtout d’origine végétale.
Avec un tel régime, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il est possible de nourrir sainement une population croissante de 10 milliards de personnes à l’horizon de 2050, tout en respectant les limites planétaires. Il faudra cependant révolutionner nos régimes alimentaires depuis la production agricole, en passant par une transformation alimentaire réfléchie afin de conserver la qualité nutritive de nos aliments. Produire plus d’aliments ultra-transformés, c’est du gaspillage nutritionnel !
Pour nos décideurs, ailleurs comme au Québec, cela demande d’accélérer la diversification de la production agricole et d’augmenter l’accès à des aliments de bonne qualité nutritive pour toutes et tous. Nous invitons donc le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) à profiter de la rencontre des partenaires pour réfléchir à comment faire mieux afin d’assurer une cohérence dans l’ensemble des investissements gouvernementaux.
Consultez le rapport de la commission EAT-Lancet
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Cosignataires : Thomas Bastien, directeur général de l’Association pour la santé publique du Québec ; Malek Batal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les inégalités en nutrition et santé ; Corinne Voyer, directrice de la Coalition québécoise sur la problématique du poids