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Opinion  •  4 min

Combien de communautés devront brûler ?

Publié le 

La vie des habitants et habitantes de Jasper, une ville de montagne chère aux Canadien(ne)s, un endroit où nombre d’entre nous ont passé du temps, vient d’être dévastée par de violents feux de forêt. Nos pensées vont à toute la population de Jasper ainsi qu’aux communautés et aux nations autochtones contraintes à l’évacuation et à la perte de leurs maisons, de leur entreprises et de leurs terres traditionnelles. Nous les accompagnons dans leur deuil en cette période incroyablement difficile.

Aux chef·fes de gouvernements, nous adressons ce message : combien de nos communautés devront encore subir des incendies avant que nos dirigeant·es n’agissent avec la plus grande célérité?

Le seul moyen d’endiguer les feux de forêt et d’autres phénomènes météorologiques de plus en plus dévastateurs, tout en protégeant les Canadien·nes, est de prendre des mesures décisives pour lutter contre les changements climatiques.

La réduction des émissions de gaz à effet de serre ─ à commencer par celles des grands pollueurs ─ est primordiale pour empêcher l’aggravation des incendies et protéger nos proches, notre santé et notre sécurité collective. La science montre que les changements climatiques, alimentés par l’utilisation des combustibles fossiles, favorisent l’augmentation de la taille, de la température et de la fréquence des incendies de forêt. L’année dernière au Québec, la probabilité de conditions météorologiques extrêmes propices aux incendies a plus que doublé en raison des changements climatiques. Une part de 37 % des zones forestières brûlées au cours des dernières décennies (1986- 2021) dans l’ouest du Canada et des États-Unis peut être attribuée aux émissions de 88 grands producteurs de combustibles fossiles et fabricants de ciment. Par ailleurs, selon un récent sondage, la quasi-totalité de la population canadienne (89%) déclare avoir constaté une augmentation des catastrophes naturelles au cours de la dernière décennie, tandis que sept personnes sur 10 estiment que cette augmentation est imputable aux effets des changements climatiques.

Nous, les organisations signataires, demandons au gouvernement fédéral, avec le soutien de l’ensemble des dirigeant·es provinciaux et des partis politiques fédéraux et provinciaux, de réglementer sans plus tarder les entreprises pétrolières et gazières ─ responsables d’un tiers des émissions de carbone au Canada ─ ainsi que les institutions financières qui les financent, afin qu’elles réduisent leurs émissions, de sorte que les incendies dévastateurs, les dômes de chaleur et les inondations ne se multiplient pas dans tout le pays.

Jasper est la dernière d’une longue liste de communautés dévastées par les incendies de forêt, une liste qui ne cesse de s’allonger :

  • 2023 - Enterprise, T.N.O.

  • 2023 - Première nation Ktunaxa, C.-B.

  • 2023 - Skwlāx te Secwepemcúl̓ecw, Lac Little Shuswap, C.-B.

  • 2023 - Upper Tantallon, N.-É.

  • 2023 - Barrington, N.-É.

  • 2023 - Mistissini, Qc

  • 2023 - Senneterre, Qc

  • 2023 - Fort Chipewyan, Alb.

  • 2021 - Lytton, C.-B.

  • 2017 - Première nation Tahltan

  • 2016 - Fort McMurray, Alb.

  • 2015 - La Ronge, SK

  • 2011 - Slave Lake, Alb.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 750 incendies de forêt sont en cours au Canada, dont la plupart sont hors de contrôle.

Nous avons le cœur brisé de voir tant de familles forcées d’évacuer leur maison sans savoir si elles pourront y retourner. Lors des incendies de forêt record de l’été dernier, 232 000 personnes ont été contraintes d’évacuer, parmi lesquelles 25 000 autochtones, soit 10% des personnes évacuées bien que la population autochtone ne représente que 5% de l’ensemble de la population canadienne. Des millions de personnes à travers l’Amérique du Nord ont en outre été exposées à des niveaux sans précédent de fumée nocive issue des feux de forêt.

Il est nécessaire de souligner l’impact particulièrement important des événements climatiques sur les populations autochtones, qui représentent plus de 42% des évacuations pour cause d’incendie entre 1980 et 2021.

Nous, les signataires, estimons que c’en est trop.

Il y a huit ans, le Canada signait l’Accord de Paris. Cette même année, Fort McMurray subissait la plus importante évacuation de l’histoire du Canada en raison d’un incendie de forêt.

Depuis lors, les entreprises pétrolières et gazières ainsi qu’une partie des responsables politiques ont rejeté tout effort visant à réglementer l’industrie pétrogazière, dont les activités sont la source la plus importante et la plus croissante d’émissions de GES au Canada. Ces émissions continuent de croître, alors même que les maisons des Canadien·nes sont la proie des flammes.

Alors que limiter le réchauffement climatique à 1.5°C nécessite l’abandon progressif des combustibles fossiles et une transition équitable vers les énergies renouvelables, la production pétrolière au Canada a atteint cette année un niveau record, tandis que les banques et les institutions financières canadiennes figurent parmi les plus importants bailleurs de fonds des entreprises pétrolières et gazières dans le monde. Le Canada ─ un grand et riche pollueur historique ─ prévoit la deuxième plus grande expansion pétrolière et gazière au monde.

Les Canadien·nes méritent mieux que des retards persistants dans le plafonnement des émissions et une politique climatique affaiblie par le lobbying permanent du secteur des combustibles fossiles.

Ce pays s’est montré plus enclin à subventionner des projets financièrement et écologiquement irresponsables, tels que le projet d’expansion du pipeline Trans Mountain évalué à 34 milliards de dollars, qu’à réduire fortement ses émissions pour préserver le climat. Le mois dernier, le gouvernement a alloué au moins 1,5 milliard de nouveaux financements au secteur fossile : 300 millions $ pour Enbridge, 500 millions $ pour Cedar LNG, 500 millions $ pour Strathcona Resources et 200 millions $ pour Coastal GasLink.

Aujourd’hui, nous constatons que le pipeline Trans Mountain fait l’objet d’une protection prioritaire face au feux de forêt en tant qu’« infrastructure essentielle », bien qu’à l’origine il ait été déclaré à faible risque, tandis que la ville et le parc national de Jasper brûlent.

Nous demandons à nos gouvernements fédéral et provinciaux, ainsi qu’à l’ensemble des chef·fes de partis de cesser de se livrer à des jeux politiques au détriment de notre santé et de notre sécurité. Nous leur demandons de prendre des mesures urgentes pour tenir l’industrie pétrolière et gazière responsable de la dévastation causée par ses activités et mettre fin à notre dépendance collective aux combustibles fossiles, tout en soutenant les travailleurs, les travailleuses et les populations, et en garantissant le dialogue social tout au long de cette transition.

Nous avons besoin d’une collaboration entre les différentes juridictions pour réglementer et plafonner les émissions de l’industrie des combustibles fossiles, mettre fin aux flux de fonds publics et privés qui bénéficient à ce secteur en les réorientant vers les les communautés affectées par les désastres climatiques et vers celles qui dépendent actuellement des revenus pétroliers et gaziers. Enfin, nous demandons des mesures pour réglementer les institutions financières qui soutiennent les projets d’exploitation des combustibles fossiles.

Nos gouvernements doivent placer la santé de la population et des communautés du Canada au-dessus des profits générés par les combustibles fossiles, et ce, avant qu’une autre ville ne soit dévastée par un incendie ou une inondation et ne subisse les conséquences dramatiques des changements climatiques.

Cette lettre a été signée par près de 80 organisations