Charles-Édouard Têtu
Analyst, Climate and Energy policy
Lors d’une récente mêlée de presse, des propos du ministre provincial de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, ont suscité de profondes inquiétudes au sein de la société civile quant à la direction que le Québec doit emprunter pour faire face à l’urgence climatique.
Alors que la science est claire sur la nécessité de réduire radicalement les émissions de gaz à effet de serre (GES), le ministre a déclaré que viser des objectifs ambitieux nous ramènerait à « l’âge de pierre ». Ces propos, non seulement infondés, masquent le véritable problème : le manque de leadership de la part du gouvernement québécois.
Les faits sont clairs : le Québec est déjà aux prises avec les catastrophes climatiques. Incendies dévastateurs, inondations récurrentes, vagues de chaleur extrêmes sont maintenant notre nouvelle réalité. Pensons à la tempête Debby, qui laisse encore de nombreuses familles québécoises victimes de la catastrophe à elles-mêmes, les pieds dans l’eau. Au-delà des chiffres, ce sont des vies humaines qui sont en jeu.
Ce sont fondamentalement ces vies qui doivent guider notre niveau d’ambition collective en matière de climat. Pourtant, le gouvernement du Québec se contente d’une cible de réduction de ses émissions de 37,5 % d’ici 2030, un objectif loin d’être à la hauteur pour répondre à la crise climatique et qui aurait dû être mis à jour il y a plusieurs années selon les engagements du Québec à l’Accord de Paris.
Non seulement cette cible est archaïque, mais le gouvernement n’a toujours pas de plan adéquat pour espérer l’atteindre. On en paye collectivement le prix fort — et ça continuera d’être le cas — sur plusieurs plans, dont l’adaptation de nos infrastructures, les dégâts pour les foyers québécois et les coûts pour notre système de santé.
Viser plus haut
Pendant ce temps, plusieurs autres gouvernements ont des cibles beaucoup plus ambitieuses. Des exemples ? L’Allemagne et le Royaume-Uni s’engagent à réduire leurs émissions de 65 % et 68 % d’ici 2030, tandis que la Finlande vise une réduction de 60 % d’ici 2030. Ces engagements nous démontrent qu’il est possible de viser plus haut et de prendre des mesures significatives pour protéger notre avenir et nous libérer des énergies fossiles. Qui plus est, les pays préparent actuellement leurs cibles pour 2035, qui sont dues, selon l’Accord de Paris, au début 2025.
Il est temps de dépasser les querelles stériles et de se concentrer sur des mesures concrètes et tangibles. Réduire nos émissions de GES ne nous ramènera pas à l’âge de pierre — au contraire, cela nous propulsera vers un avenir plus résilient et plus équitable, en plus de nous positionner stratégiquement dans l’économie carboneutre de demain.
Une cible de réduction de nos émissions de GES plus ambitieuse signifie également miser sur la sobriété énergétique, majorer la tarification carbone, sortir plus rapidement des énergies fossiles et densifier les villes. Le comité consultatif sur les changements climatiques du gouvernement du Québec le rappelle : les solutions existent et leur efficacité est largement documentée. Ce qui manque, c’est un plan technique et économique solide, ainsi que le leadership nécessaire pour le mettre en oeuvre. C’est précisément là que l’État québécois doit montrer la voie.
Pour y arriver, il faudra absolument gérer les questions d’énergie et de climat de manière intégrée. En d’autres mots, le projet de loi 69 sur la gouvernance énergétique au Québec doit nécessairement être revu afin que cette réforme soit alignée avec les impératifs climatiques.
Le 27 septembre prochain marquera le cinquième anniversaire des grandes marches pour le climat, dont celle qui a eu lieu à Montréal, où 500 000 personnes ont exigé une action climatique plus robuste immédiate aux côtés de Greta Thunberg. Cet anniversaire nous rappelle que le temps presse, pour nous-mêmes et les générations futures. Une cible ambitieuse accompagnée d’un plan robuste est non seulement réaliste, mais c’est surtout moralement nécessaire : c’est le seul chemin possible pour prévenir de futures catastrophes climatiques, protéger notre environnement, nos proches, et nos infrastructures, et soutenir l’économie future du Québec. C’est aussi notre devoir parce que nous avons le luxe de détenir les ressources financières et techniques pour mener cette transition, contrairement à bien d’autres États dans le monde.
Sortons dans les rues, le 27 septembre prochain, pour exiger un véritable leadership climatique québécois et pour rappeler au gouvernement que les plans inadéquats, les demi-mesures et l’attentisme ne sont pas des options. Des solutions existent, le gouvernement doit en prendre acte et les mettre à profit — pour le bien de toute notre collectivité.
Cette lettre ouverte a initialement été publiée le 16 septembre dans Le Devoir
Autres signataires : Leila Cantave (Réseau Action Climat Canada), Andréanne Brazeau (Fondation David Suzuki), Patricia Clermont (AQME), Patrick Bonin (Greenpeace Canada), Alice-Anne Simard (Nature Québec), Myriam Thériault (Mères au front) et Michèle Asselin, (AQOCI).