Publié le
Le virus nous force à ralentir, à rester chez nous et plusieurs ont pris l’occasion pour cuisiner - incluant des pasteis de nata portugaises! De mon côté, je trouve thérapeutique de mettre la main à la pâte, littéralement, en cuisinant du pain au levain.
Blague à part, si, comme moi, vous avez le privilège d’avoir un endroit d’où vous confiner pour travailler à distance, je suis certaine que cette période est riche en réflexions. Parmi ces réflexions, plusieurs constatent les réductions de GES découlant de la crise, qui sont en baisse. À cet effet, on constate, partout où l’activité économique est au ralenti, des baisses des émissions des GES.
En Chine, par exemple, celles-ci étaient 25% sous la moyenne pour le premier quart de 2020. Et les estimés les plus récents démontrent que les réductions des émissions mondiales pourraient équivaloir à 4% des émissions de 2019, soit la plus grande chute annuelle jamais enregistrée.
Pas de quoi se réjouir
Toutefois, ces nouvelles sont très loin de me réjouir. D’abord, ces développements émergent dans un contexte où des gens meurent et où les vies seront bouleversées. Jusqu’à présent, en ce début avril 2020, près de 100 000 personnes sont décédées de la Covid-19. Plus encore contractent le virus et plus encore souffrent de ses conséquences économiques. Ces personnes sont aussi disproportionnellement issues des populations vulnérables. Ce n’est pas de cette façon que nous souhaitons décarboniser notre économie! Je suis donc attristée - et alarmée - lorsque je constate que certains qualifient cette crise de « bonne nouvelle pour la planète ».
Ensuite, ces quelques bonnes nouvelles ne s’annoncent que temporaires. Ce que l’histoire nous démontre en matière de crises, c’est que les émissions reprennent de plus belle avec la reprise économique (par contre, nous avons le pouvoir là-dessus, j’élaborerai à ce sujet un peu plus loin). Si nous continuons dans la même voie dans laquelle nous sommes engagée présentement, une fois la « pause » terminée, nous pourrons dire au revoir à ces réductions.
Toutefois, il existe, pardonnez l’anglicisme, un silver lining : ce que la nature nous démontre lorsqu’elle se réapproprie l’espace urbain et refleurit là où on s’y attend le moins. On découvre toute sa résilience : il est possible pour la Terre de guérir, et ce, rapidement.
Les crises rendent possible l’impossible, pour le meilleur et pour le pire
Milton Friedman a dit :
« Seule une crise - réelle ou perçue - produit un réel changement. Lorsque cette crise survient, les actions entreprises dépendent des idées qui traînent. C'est, je crois, notre fonction de base : développer des alternatives aux politiques existantes, les maintenir en vie et disponibles jusqu'à ce que l'impossible politiquement devienne l'inévitable politiquement. »
Bien que Friedman soit le père fondateur du néolibéralisme, ce constat s’applique aussi aux progressistes. C’est dans un moment de crise comme celui que nous vivons aujourd’hui où l’on considère sérieusement des idées que l’on aurait pu croire trop ambitieuses ou irréalistes il n’y a pas si longtemps.
Nous devons donc nous saisir de ce moment pour rêver, pour se questionner profondément sur la société dans laquelle on veut vivre et penser créativement pour proposer des alternatives.
Si on ne le fait pas, d’autres groupes utiliseront la relance économique pour obtenir des passe-droit. L’industrie pétrolière et gazière canadienne, par exemple, tente déjà d’instrumentaliser la crise pour se maintenir à flot, alors que sa viabilité était déjà menacée bien avant la récession liée au coronavirus.Rappelons-nous des lendemains de la crise économique de 2008, où les gouvernements ont renfloué, sans conditions, l’industrie automobile. Dix ans plus tard, force est d’admettre, alors que le Canada a perdu cinq usines d’assemblage et que le gouvernement n’a jamais recouvré certains des prêts accordés aux constructeurs automobiles, que ces investissements n’ont pas augmenté la résilience de notre économie, des travailleurs et de leurs familles. C’est pourquoi plusieurs organisations représentant 1,3 millions de canadiens et canadiennes ont demandé au gouvernement Trudeau de soutenir directement les travailleur.euse.s canadiens (joignez votre nom à cette initiative ici).
Rebâtir une économie résiliente
Ainsi, comment pouvons-nous saisir le moment historique dans lequel nous nous trouvons pour rebâtir notre économie de façon à ce qu’elle soit plus résiliente?, Pour pallier aux vulnérabilités sur lesquelles la crise lève le voile?
Les gouvernements élaborent présentement des plans de relance qui injectent de milliards de dollars dans l’économie dans le but de contrer les dommages causés par le coronavirus. À cet effet, la Corée du Sud, dont l’aplatissement de la courbe fait d’ailleurs beaucoup d’envieux, nous offre un exemple fort intéressant. En 2009, après la crise financière mondiale, la Corée a investi 80% de son stimulus, soit 36 milliards de $, et subséquemment 2% de son PIB dans des mesures dites « vertes », principalement en infrastructures et en transport. Ces mesures se sont avérées très payantes : gardant en tête les limites de cet indicateur, la croissance du PIB a rebondi plus rapidement en Corée qu’ailleurs dans l’OCDE.
De quoi pourrait être constitué un tel plan chez nous?
Pour Équiterre, trois thèmes sur lesquels nous travaillons au quotidien peuvent orienter la réflexion, sans être exhaustifs ni prétendre détenir toutes les réponses.
Premièrement, la fermeture des frontières nous a fait réaliser la fragilité de notre sécurité alimentaire, qui dépendent de l’importation de produits et de main d’oeuvre bon marché. La meilleure façon de répondre à ces craintes, c’est de produire au Québec en favorisant une agriculture durable et régionale, en soutenant la diversité de notre production et des solides moyens de subsistance pour les agriculteurs.
Deuxièmement, un secteur de l’économie qui se voudrait très porteur en termes d’emplois - on parle de l’échelle de centaines de milliers - c’est l’électrification du transport. Le gouvernement peut soutenir le secteur automobile, conditionnellement à la transition de cette industrie vers la production de véhicules zéro émission, ce qui positionnera du même coup le Canada de manière compétitive à l’échelle mondiale.
Finalement, les bas prix du pétrole remettent en question la viabilité de projets d’exploitation, de transport et d’exploration de fossiles. Il s’agit là d’une occasion de briser la dépendance de notre économie à un marché volatile et nécessitent un soutien des travailleurs des industries pétrolières et gazières en leur offrant des possibilités de formation, d'éducation et d'emploi dans les secteurs d’avenir.
Nous avons en main, présentement, les ingrédients essentiels pour répondre à la crise climatique :
- Le gouvernement est à l’écoute des experts et données scientifiques, s’outille d’indicateurs chiffrés dont on fait le suivi et la surveillance;
- Les élus font preuve de trans-partisanerie et travaillent en équipe, incluant la collaboration de tous les citoyens;
- Une attention particulière est portée aux plus vulnérables, qui vivent disproportionnellement les effets de cette crise.
Bref, on voit que la recette n’est pas impossible à appliquer, loin de là. Comme le pain au levain que je cuisine présentement, on espère que ça lève! Mais on aura besoin pour ça de l’ingrédient final, que l’on voit en abondance ces jours-cis : la solidarité. Et pour ceux qui croient que cuisiner du pain n’est pas un projet collectif, je vous dirai qu’au contraire, son succès dépend de la communauté de bactéries qui travaillent avec moi à en faire un produit délicieux.