Colleen Thorpe
Directrice générale
Publié le
Le gouvernement du Québec a mené en 2023-2024 une consultation nationale pour réfléchir collectivement à l’avenir de notre agriculture. Elle aboutit maintenant au projet de loi 86 modifiant la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, une loi phare adoptée il y a 45 ans pour protéger notre patrimoine agricole.
Deux principaux constats se dégagent aujourd’hui. D’une part, nos terres agricoles continuent d’être grugées par l’urbanisation notamment, alors que moins de 2 % de la superficie de notre territoire seulement est en culture. D’autre part, le rapport 2024 de la commissaire au développement durable rappelle que « les interventions du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) sont insuffisantes pour protéger et mettre en valeur le territoire agricole, notamment pour faire face aux difficultés qui menacent sa pérennité ».
La pression pour s’implanter en zone agricole est omniprésente (plus de 5000 hectares des terres les plus fertiles ont été exclus de la zone agricole québécoise entre 1988 et 2022). Elle ne fait que s’intensifier pour faire place, par exemple, à des infrastructures industrielles (centres de distribution, usines de batteries, parcs éoliens) ou du développement immobilier. Un tout qui s’ajoute à des autorisations, consenties, mais non implantées, qui déstructurent le milieu agricole.
De façon plus sournoise, les usages non agricoles du territoire agricole se multiplient avec peu ou pas de surveillance. Ces projets de type résidentiels, récréatifs, touristiques ou commerciaux représentent une autre perte de plus de 61 000 hectares depuis 1998. Analysés individuellement, ces derniers peuvent sembler inoffensifs pour certains. Toutefois, leurs effets cumulatifs ont des conséquences sur la capacité du Québec de produire et de s’alimenter. Ils se manifestent sur le terrain par une artificialisation des sols (par l’implantation de bâtiments, de stationnements et d’infrastructures), une augmentation des difficultés de cohabitation (circulation routière, plaintes, etc.) et une hausse substantielle des prix des terres (qui limitent l’accès à la relève agricole), notamment.
À quoi bon protéger un territoire agricole si, ultimement, sa fonction est dénaturée ? Concrètement, les usages non agricoles minent nos efforts de protection du territoire et de biodiversité. Il faut stopper la fragilisation des activités agricoles et forestières, analyser ces usages avec précaution et ne pas les considérer comme sans impact.
Nous saluons l’important pas que fait le projet de loi pour répondre à plusieurs demandes consensuelles et de longue date, notamment le contrôle des transactions foncières et le renouvellement de certains acquis, comme la protection des érablières.
Malgré une intention évidente d’amélioration du cadre législatif, certaines brèches doivent toutefois être colmatées. Le projet de loi 86, tel que déposé, introduit un système de planification du territoire à deux vitesses qui est infondé et préoccupant.
Il ouvre la porte, dans la moitié des MRC et sur 69 % de la zone agricole du Québec, à un plus grand étalement urbain et une multiplication des usages nuisibles à l’agriculture. Ces MRC ont déjà des exigences gouvernementales en matière de gestion de l’urbanisation nettement moindres qu’ailleurs. L’ouverture que prévoit le projet de loi 86 va à l’encontre non seulement de la volonté des citoyens — près de 75 % des Québécois s’opposent à l’étalement urbain pouvant nuire à l’autonomie agricole —, mais aussi de celles du milieu agricole et de nombreux spécialistes, ainsi qu’aux bonnes pratiques en aménagement du territoire.
Une planification exemplaire permet d’éviter les fausses oppositions entre développement régional et protection du territoire agricole. La Communauté métropolitaine de Montréal planifie sa croissance démographique jusqu’en 2050 sans empiéter sur les terres agricoles ; il est tout à fait réaliste que les autres municipalités du Québec puissent faire de même dans l’espace disponible en « zone blanche » dans leur MRC, échelle à laquelle l’analyse des demandes d’exclusion doit continuer de se faire.
À l’instar de la France, qui a adopté le principe de zéro artificialisation nette des terres, le temps est venu d’inscrire un tel objectif dans la loi québécoise afin de renforcer sans concession notre capacité à mieux protéger notre territoire et notre capacité nourricière — et pour inscrire le projet de loi 86 comme un véritable legs du ministre André Lamontagne.
Le gouvernement doit continuer à assumer pleinement son rôle en s’assurant que l’occupation dynamique de nos terres et la viabilité économique de nos entreprises agricoles soient au cœur de nos priorités collectives. Sans terres agricoles et entreprises agricoles dynamiques, il n’y a pas d’autonomie et de sécurité alimentaire possible !
Cette lettre a été initialement publiée dans Le Devoir le 12 février 2025.
Signataires : Martin Caron, PDG de l'UPA ; Christian Savard, DG de Vivre en ville ; Nathalie Prud’homme, présidente, Ordre des urbanistes du Québec ; Véronique Bouchard, présidente, Réseau des fermiers.ères de famille ; David Beauvais, président, Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ) ; Robert Laplante, directeur général, Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) ; Luc Goulet, président, Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ) ; Claire Binet, géographe, Collectif Voix citoyenne ; Guy Debailleul et Michel St-Pierre, coprésidents, Institut Jean Garon ; Christian Overbeek, président, Producteurs de grains du Québec.