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Opinion  •  3 min

Protection des terres agricoles : une réforme qui nous laisse sur notre faim

Publié le 

C’est maintenant chose faite. Le projet de loi 86, qui visait à renforcer la protection du territoire agricole, vient d’être adopté par le gouvernement du Québec. Cette pièce législative était très attendue par le milieu agricole québécois. Malgré certaines avancées, il faut malheureusement avouer qu’elle nous laisse plutôt sur notre faim.

L’opportunité était pourtant belle. La nouvelle loi proposait la plus importante réforme du régime québécois de protection du territoire agricole. En vigueur depuis 1978 sous l’égide du désormais légendaire ministre de l’Agriculture Jean Garon, la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA) ne répondait plus aux impératifs de protection de nos terres agricoles de plus en plus en péril.

Les attentes étaient donc grandes. Sauf qu’après avoir convié l’ensemble des acteurs concernés lors de consultations nationales, le ministère de l’Agriculture a semblé cesser son écoute du milieu agricole lors des travaux parlementaires. Malgré quelques éléments positifs, le résultat est une loi peu ambitieuse qui demeure superficielle.

Voici le bilan qu’on en dresse.

Des brèches persistantes dans la protection des terres

D’abord, la nouvelle loi n’agit pas sur une des plus grandes menaces sur les terres agricoles : ce qu’on appelle les usages non agricoles (UNA). Ce type de demande permet entre autres la construction de routes, de maisons et commerces, sans passer par un processus de dézonage.

Malgré la disparition progressive des bonnes terres, la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), chargée de protéger les terres agricoles, a accepté la grande majorité de ces demandes ces dernières années. Cela n’est pas passé inaperçu, alors que les demandes pour des UNA se sont multipliées récemment. Le territoire agricole est ainsi grugé à l’abri des regards, tandis que des milliers d’hectares de terres nourricières sont recouverts de béton et d'asphalte.

Il y a donc urgence d’agir, mais rien dans la loi ne vient explicitement limiter ce phénomène.

C’est le même son de cloche du côté de ce qu’on appelle les demandes à portée collective. De quoi parle-t-on ?

Il s’agit d’un mécanisme méconnu permettant au monde municipal de demander d’un seul coup le dézonage de plusieurs terres agricoles pour faciliter un développement quelconque, que ce soit un aqueduc municipal ou des terrains de pickleball . Or, la loi ouvre la porte à une plus grande utilisation de ce genre de demandes dans des régions où les terres agricoles sont de plus en plus sous pression.

Les représentants du monde agricole, environnemental et de l’aménagement du territoire - dont l’Alliance SaluTERRE - ont pourtant sonné l’alarme pour faire reculer le gouvernement.

Il a plutôt fait la sourde oreille.

La pépine gouvernementale

La loi aurait été une bonne occasion pour le gouvernement de prêcher par l’exemple.

À la place, celui-ci garde tout le pouvoir voulu pour dézoner et construire sur une terre agricole, et ce, malgré une décision défavorable de la CPTAQ.

Pas besoin de chercher loin pour des exemples. Ce pouvoir a été mis à l'œuvre à plusieurs reprises ces dernières années, notamment lorsque le gouvernement a autorisé la construction d’un hôpital ou encore d’un centre de données de Google en terre agricole.

Bien qu’il nous assure que ces pertes de territoires seront dorénavant systématiquement compensées, le gouvernement refuse de s’engager sur la valeur et la qualité de ces compensations. On a bien vu l’efficacité de ce genre de système de compensation avec les milieux humides…

En facilitant ainsi la construction résidentielle et commerciale en zone agricole, le gouvernement laisse la porte ouverte au démantèlement progressif de notre garde-manger collectif.

Du positif

Quelques éléments intéressants retiennent tout de même notre attention dans cette loi.

D’abord, on y propose un meilleur contrôle des acquisitions de terres agricoles par des fonds d’investissement, des non-agriculteurs, ou bien dans le cas des terres situées à proximité d’une zone urbaine. La mise en place d’un registre des transactions ainsi que de nouveaux critères comme l’impact sur le potentiel agricole et le prix des terres dans la région pourraient aussi mieux encadrer les demandes d’acquisition.

De plus, les municipalités ont maintenant le pouvoir de surtaxer les terres agricoles en friche, un phénomène qui contribue à la hausse du prix et à la disparition des terres. En effet, plus les terres se font rares, plus la compétition pour l’achat est féroce. En revanche, la taxation des terres en friche pourrait atténuer ce phénomène en augmentant les surfaces cultivables disponibles.

Ce sont de bonnes nouvelles… théoriquement.

Une occasion manquée

Théoriquement, car malgré ces avancées sur papier, les effets réels de cette loi sont incertains et prendront des années à se faire sentir. Pourtant, le gouvernement aurait pu facilement aller plus loin à bien des égards.

Notre impression générale est que, bien qu’il nous ait conviés aux consultations nationales en 2024, le gouvernement a ensuite fait la sourde oreille au milieu agricole et à ses alliés. Malgré nos nombreuses solutions proposées, il a plutôt dilué son projet de loi pour plaire à ceux qui voient la protection des terres agricoles comme un obstacle.

Au-delà de ces préoccupations, la capacité réelle de la CPTAQ d’assumer ses nouvelles responsabilités est fragilisée. Car au moment où cette loi entre en vigueur, le gouvernement a diminué les fonds d’opérations de la CPTAQ lors de son dernier budget alors qu’il devrait les augmenter.

On a déjà vu plus cohérent.

* Ont aussi cosigné cette lettre : Véronique Bouchard, présidente du Réseau des fermiers.ères de famille; Hubert Lavallée, président de Protec-Terre; Christian Savard, directeur général, Vivre en Ville, et David Beauvais, président de la Fédération de la relève agricole du Québec