La région du Saguenay, y compris l’embouchure de la rivière Saguenay avec le fleuve Saint-Laurent, est un joyau de calibre mondial, un trésor écologique. D’une part, les touristes sont attirés par la beauté des paysages de l’un des plus longs fjords au monde. De l’autre, les scientifiques et les défenseurs de l’environnement sont motivés à protéger la rivière Saguenay et la zone où elle se jette dans le Saint-Laurent, parce qu’il s’agit d’une région exceptionnelle sur le plan écologique, située dans un cadre unique où se rencontrent les eaux des Grands Lacs, et celles du bassin du Saguenay et de l’océan Atlantique [1].
Site de nombreuses entreprises industrielles et commerciales, la région du Saguenay -Lac-Saint-Jean a heureusement réussi à éviter la mise en œuvre de projets de développement liés à l’industrie des combustibles fossiles qui représentaient des menaces importantes, comme celui de l’oléoduc Énergie Est. Ce projet comprenait notamment des plans pour un nouveau terminal pétrolier à Cacouna, sur la rive opposée du Saint-Laurent, à environ 25 kilomètres de l’embouchure du Saguenay. Le terminal de transbordement pétrolier à Cacouna a d’abord été abandonné en raison des répercussions potentielles sur les bélugas, une espèce en péril. Le projet a par la suite été annulé dans sa totalité.
Cependant, nous voilà de nouveau à la case départ alors qu’un autre grand projet associé aux combustibles fossiles est envisagé dans cette zone écosensible. Il s’agit cette fois d’un gazoduc transportant du gaz naturel, principalement en provenance de l’Ouest canadien, vers un immense terminal de liquéfaction et d’exportation, dont la construction est prévue sur la rive sud du Saguenay, près du terminal maritime de Grande-Anse. (Le « gaz naturel » est en grande partie du méthane, l’un des plus puissants gaz à effet de serre qui contribuent aux changements climatiques.) Le gazoduc proposé aurait un mètre de diamètre (comme celui d’Énergie Est) et traverserait environ 700 kilomètres de zones forestières, des communautés autochtones et des collectivités locales, ainsi que de nombreuses rivières et aires protégées au Québec.
Comme dans le cas d’Énergie Est, ce nouveau projet de gazoduc et de terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) serait construit strictement en fonction des marchés d’exportation et viendrait menacer l’habitat du béluga! De grands navires transporteurs de GNL traverseraient 50 milles nautiques sur le Saguenay, soit la presque totalité du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, avant d’atteindre le Saint-Laurent. Cette zone nationale unique de conservation vise à protéger non seulement les bélugas, qui figurent sur la liste fédérale des espèces en péril, mais aussi d’autres espèces à risque, comme le rorqual bleu, le rorqual commun, le marsouin commun, et des oiseaux marins, dont le magnifique garrot d’Islande.
En bref, le passage de 150 à 200 navires-citernes supplémentaires par année s’ajouterait à la circulation actuelle si les projets de gazoduc et d’usine de GNL voyaient le jour. Et, si l’on tient compte des nouveaux projets industriels prévus pour le Saguenay, le trafic de grands navires dans le parc marin serait plus que doublé lorsque l’usine de GNL entrerait en exploitation en 2025. Le risque pour les bélugas et les autres espèces marines serait alors grandement aggravé.
À la suite de tous les problèmes soulevés au sujet des incidences probables du projet Énergie Est sur les changements climatiques, les bélugas, les autres espèces marines et les collectivités locales, il serait dans l’ordre des choses que l’on rejette haut et fort, et rapidement, ce projet de gaz naturel liquéfié. Toutefois, ce projet qui reçoit le soutien de GNL Québec S.E.C. est déjà à l’étape de l’examen. Voici donc les faits essentiels sur ces deux projets directement associés, et la réaction qu’Équiterre souhaite susciter — avec l’aide du public.
Le point de départ du pipeline de gaz naturel du projet Gazoduq, qui alimenterait l’usine de liquéfaction au Saguenay, se situerait du côté ontarien de la frontière où il serait branché au gazoduc grande distance TransCanada qui achemine vers l’est le gaz de l’Ouest canadien. Le pipeline de Gazoduq passerait au Québec près de Rouyn-Noranda pour se diriger à l’est vers la rive sud du lac Saint-Jean, puis vers le Saguenay.
L’usine de GNL, connue sous le nom d’Énergie Saguenay, convertirait le gaz naturel à l’état liquide aux fins d’exportation par voie maritime vers des marchés comme l’Europe, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud. L’installation comporterait de deux à trois unités distinctes de traitement qui, combinées, produiraient 11 millions de tonnes annuellement, à partir de la liquéfaction de 44 millions de mètres cubes de gaz naturel par jour. Le nouveau terminal maritime aurait la capacité de charger deux navires-citernes géants en même temps. Le type de navires-citernes prévus comprend notamment le deuxième plus grand méthanier au monde, d’une dimension de 315 mètres sur 50 mètres, et apte à transporter 217 000 mètres cubes de gaz naturel liquéfié.
Équiterre réclame que les examens de ces projets de gazoduc et d’usine de production menés par les autorités provinciales et fédérales respectent trois règles fondamentalement équitables et nécessaires :
- Faire en sorte que l’usine de GNL du Saguenay (connue sous le nom de « projet Énergie Saguenay ») et le gazoduc d’alimentation (désigné par le nom de « projet Gazoduq ») soient évalués en tant que projet unique. Étant donné qu’aucun de ces projets n’est viable sans l’autre, cette demande est à la fois juste et essentielle. Le gazoduc a pour but principal d’alimenter l’usine de GNL, et celle-ci ne peut évidemment pas liquéfier de gaz naturel sans conduite d’alimentation en gaz. En outre, n’oublions pas que le gazoduc et l’usine de GNL sont parrainés par la même société mère, soit GNL Québec S.E.C.
- Veiller à ce que le projet de gazoduc et celui d’usine de liquéfaction de gaz naturel de la société GNL Québec fassent l’objet d’une évaluation environnementale dans le cadre d’un processus fédéral-provincial conjoint. Il est essentiel de combiner l’évaluation par les autorités fédérales et provinciales afin d’assurer que l’ensemble des questions et des liens entre ces deux parties soient examinés en même temps dans un même processus. Autrement, les collectivités touchées et les scientifiques pourraient être tenus de participer à quatre processus d’évaluation distincts. Ce ne serait pas une bonne façon de rétablir la confiance du public à l’égard de l’évaluation environnementale.
- Donner l’assurance que le processus d’évaluation environnementale tiendra compte des répercussions en amont et en aval, et particulièrement des émissions de gaz à effet de serre. Les répercussions en amont de l’extraction du gaz par fracturation ou d’autres moyens en Alberta, de pair avec les émissions de méthane générées durant la production, mais aussi pendant le transport et le traitement, doivent être prises en compte au même titre que les émissions en aval lorsque le gaz naturel est liquéfié de nouveau et utilisé aux destinations d’exportation.
Nous encourageons fortement les Québécois et toute personne qui souhaite protéger quelques-uns des plus précieux trésors écologiques du Québec à se joindre à nous pour la concrétisation de ces trois mesures.
Restez à l’affût pour des renseignements supplémentaires au sujet des répercussions du gaz naturel sur le climat qui seront publiés sous peu.
Billet de blogue par Shelley Kath, Conseillère stratégique - Analyste senior - Énergie et environnement
Consultez le dossier complet - GNL Québec
Source :
[1] Gouvernements du Canada et du Québec, « La confluence », page du site Web du parc marin Saguenay–Saint-Laurent, 2019. Accès : http://parcmarin.qc.ca/la-confluence/.