Colleen Thorpe
Directrice générale
Publié le
Une réforme majeure du cadre d’aménagement du territoire est en cours au Québec. Le saviez-vous ? Le sujet peut paraître technique, mais les enjeux sont très concrets puisque le gouvernement revoit les paramètres qui encadrent l’évolution de nos milieux de vie et des différentes activités qui se déroulent sur le territoire.
L’aménagement du territoire, c’est à prendre au sérieux. Ses effets sont majeurs, durables et même parfois définitifs. Quand on ouvre un nouveau quartier dépendant de l’automobile loin des services, on ajoute des voitures sur les routes, alors qu’il en faut moins !
Quand on détruit un milieu naturel ou agricole, il est presque impossible de revenir en arrière. Quand on construit une école à côté d’une autoroute, des générations d’enfants en vivront les conséquences.
La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) précise depuis peu les « finalités de la planification territoriale ». Il est maintenant inscrit dans la loi que, par leurs choix d’aménagement, les instances municipales doivent favoriser la santé, répondre aux besoins en habitation, assurer la sécurité routière, protéger le territoire agricole et la biodiversité, assurer l’adaptation aux changements climatiques, et bien d’autres objectifs.
C’est une grande responsabilité, mais tout cela est atteignable, à condition de réaliser l’objectif numéro un : « l’utilisation optimale du territoire, notamment en vue de limiter l’étalement urbain, de manière à assurer que les générations futures pourront y vivre et y prospérer ».
Le virage de la sobriété foncière
Soyons clairs : par le passé, nous avons gaspillé notre territoire, éparpillant toujours plus loin les emplois, les services et les habitations. Cela a eu un coût, environnemental bien sûr, mais aussi pour nos finances publiques, en multipliant les besoins d’infrastructures. Dorénavant, il faut prendre le virage de la sobriété foncière.
C’est à plusieurs égards ce que visent les nouvelles orientations gouvernementales en matière d’aménagement du territoire (OGAT) qui font l’objet de consultations publiques cet été. Parallèlement, le gouvernement consulte sur un autre pan majeur du cadre d’aménagement québécois, le régime de protection du territoire agricole.
Tout en saluant plusieurs aspects du travail préliminaire accompli en vue de ces consultations, nous tenons à rendre publiques nos inquiétudes et nos attentes. Les orientations proposées ont trop de brèches et d’angles morts qu’il est impératif de combler.
D’importantes lacunes à combler
Nous tenons à le souligner, la réforme en cours contient plusieurs avancées importantes. Par exemple, nous appuyons avec enthousiasme les nouvelles obligations visant à renforcer la résilience des écosystèmes en assurant la connectivité écologique. Il faudra toutefois être plus précis et ferme pour assurer l’atteinte de chacune des finalités de la planification territoriale, sans échappatoire possible.
Plusieurs objectifs devront faire partie du renouvellement du régime d’aménagement. Nommons par exemple la cible de conservation de 30 % du territoire, que le Québec a adoptée l’automne dernier dans le cadre de la conférence internationale sur la biodiversité (COP15). Nommons aussi le principe de zéro perte nette du territoire agricole, qui guide déjà le plan d’aménagement des 82 municipalités du Grand Montréal.
Pour protéger le territoire et réduire les distances parcourues, un impératif pour favoriser l’adoption d’une mobilité plus durable et sécuritaire, il faut prendre le problème à la source et planifier tout nouveau développement dans une perspective de sobriété foncière et de consolidation. Cela doit s’imposer partout au Québec.
Il y a amplement d’espace dans les périmètres urbains déjà existants. Rien ne justifie d’en exempter presque la moitié des municipalités, comme le proposent actuellement les nouvelles OGAT.
Alors que le Québec traverse une crise de l’habitation, nous appelons à clarifier à l’échelle nationale le nombre et la nature des logements à construire, pour pouvoir par la suite s’assurer que l’évaluation des besoins à l’échelle régionale est cohérente avec les cibles nationales.
En ce qui concerne le territoire agricole, la réforme ouvre la porte à un régime à deux vitesses qui se concentre sur la protection des meilleures terres, et encore, pas partout. L’intention apparaît louable, mais cette approche déjà tentée ailleurs a eu pour conséquence dramatique d’affaiblir le régime de protection dans son ensemble. Différents sols ont différents potentiels de production qui contribuent tous à l’autonomie alimentaire ! D’ailleurs, rappelons que c’est sur plusieurs terres jugées incorrectement de moins bonne qualité que se font certaines des cultures les plus emblématiques du Québec (ex. : érable, bleuets, canneberges).
La tendance aux mégacentres commerciaux et de services, que consacrent les OGAT, est une catastrophe autant pour l’accessibilité alimentaire que pour la vitalité de nos cœurs de villes et villages. Il est urgent d’enrayer la désertification de nos milieux de vie, et cela passe par une planification adéquate de la localisation des emplois, des institutions et des commerces. Un pan de la planification trop souvent négligé.
Nous tenons à souligner qu’il y a beaucoup de bon dans les réformes en cours. L’orientation générale va dans le sens d’une meilleure planification territoriale, plus consciente et plus responsable. Mais il y a aussi trop d’échappatoires qui minent l’effort de changement. Si l’aménagement du territoire est important, il faut combler les manquements, et mettre en œuvre des réformes à la hauteur des défis, partout au Québec.
* Cosignataires : Martin Caron, président de l'UPA; Thomas Bastien, directeur général de l’Association pour la santé publique du Québec ; Alain Branchaud, directeur général de SNAP Québec ; Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec ; Brice Caillié, directeur général du Réseau de milieux naturels protégés (RMN) ; Sylvain Gariépy, urbaniste, président de l’Ordre des urbanistes du Québec ; Sabaa Khan, directrice générale pour le Québec et l’Atlantique, Fondation David Suzuki ; Hubert Lavallée, président de Protec-Terre ; Sébastien Parent-Durand, directeur général de l’Alliance des corporations d’habitations abordables du territoire du Grand Montréal (ACHAT) ; Christian Petit, directeur des projets spéciaux de Rues principales ; Claudel Pétrin-Desrosiers, présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement ; Kathrine Plouffe, directrice générale de la Fédération de la relève agricole du Québec ; Jean-François Rheault, président-directeur général de Vélo Québec ; Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville ; Sarah V. Doyon, directrice générale de Trajectoire Québec ; Martin Vaillancourt, directeur général du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) ; Émilie Viau-Drouin, directrice générale de Fermières et fermiers de famille