Vous avez sûrement vu passer les nombreuses publicités de la compagnie Énergir sur les médias sociaux ou à la télé. L’entreprise met le paquet pour vanter son « gaz naturel renouvelable » (ou « GNR ») comme l’ingrédient miracle qui permettra à sa clientèle de poser un geste écologique important. Voici plusieurs raisons pour lesquelles ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.
1. Le GNR, un vernis vert
Le problème avec ce qui est avancé dans la publicité, ce n’est pas tant le GNR lui-même que le poids marketing qu’on lui donne par rapport à la réelle utilisation qu’on va en faire.
Considérant le véritable bombardement publicitaire de l’entreprise et l’omniprésence de leurs messages tournant autour du thème « vos épluchures de patates servent à limiter les émissions de gaz à effet de serre », on croirait que nous avons affaire ici à une solution révolutionnaire et bien déployée.
Or, il n’en est rien…
Le gaz naturel renouvelable compte actuellement pour à peine 1,1 % de l’approvisionnement du réseau d’Énergir!
Autrement dit, le gaz distribué est à 98,9 % d’origine fossile.
D’abord, quelle est la différence entre le GNR et le gaz naturel fossile?
Le gaz naturel renouvelable
Le gaz naturel renouvelable est un gaz produit par la dégradation de la biomasse provenant de résidus agricoles, forestiers, municipaux ou industriels. Une fois purifié, il possède essentiellement les mêmes caractéristiques que le gaz fossile. Sur le plan climatique, le GNR est moins problématique que le gaz fossile, car le CO2 qu’il émet lorsque brûlé est déjà présent dans le cycle naturel du carbone. Par contre, ici aussi, les fuites de méthane sont particulièrement problématiques et peuvent rapidement miner le bilan climatique du GNR.
Le gaz fossile (aussi appelé gaz naturel)
Le gaz fossile (aussi appelé gaz naturel) quant à lui est un combustible fossile, extrait de réservoirs géologiques d’hydrocarbure, dont les répercussions climatiques sont largement sous-estimées, notamment en raison des fuites de méthane tout au long de sa chaîne de production, de transport et de distribution. Il est largement composé de méthane, un gaz à effet de serre (GES) environ 84 fois plus puissant que le CO2 sur une période de 20 ans.
C’est comme si un restaurateur se vantait que le sandwich smoked meat qu’il vous sert est un peu végétarien parce qu’il y a mis une feuille de laitue.
Pourquoi donc tant de ressources marketing pour moins de 2 % d’énergie renouvelable?
Parce que cela permet de pérenniser le réseau de distribution de gaz fossile : polluant, dangereux pour la planète et notre santé, mais surtout très rentable. C’est aussi simple que ça.
En nous faisant miroiter un réseau approvisionné en GNR, on donne bonne conscience à la clientèle actuelle et on s’assure de garder ce réseau intact (et les profits y étant associés) pour de nombreuses années.
2. Du GNR, on en produit presque pas
Disons qu’on jouait le jeu et qu’on se disait collectivement que « oui, ça vaut la peine le GNR. On en veut partout », serait-on capable de fournir toute la clientèle d’Énergir à moyen ou long terme?
La réponse est simple : non!
Pour le moment, seules trois usines de biométhanisation permettent de produire du gaz naturel renouvelable à partir de restes de table au Québec, soit à Varennes, Warwick et Saint-Hyacinthe.
Bref, si vous habitez en dehors de ces régions, vos épluchures et vos retailles ne serviront pas à produire du GNR. On est très très loin de la solution fiable et déployable à grande échelle qu’on nous martèle à coups de prises de vue de petits bacs à compost aux couleurs de l’entreprise pendant l’émission « Les Chefs », à Radio-Canada.
L’entreprise se défend toutefois en disant qu’il s’agit d’une « vision » et non d’un fait accompli. Elle nous promet un approvisionnement de 5 % de GNR dans son réseau en 2025, de 10 % en 2030 et de 50 % en 2050.
Vous me direz que 1,1, 5 ou 10 % c’est mieux que zéro et vous avez raison, mais seulement si on cesse d’augmenter les volumes de gaz vendus…
3. Ça dévie l'attention des vraies solutions
Ce qui est le plus dommageable dans ce bombardement marketing, c’est que pendant qu’on met le paquet pour vendre à toute la population québécoise une solution comme le gaz naturel renouvelable qui ne devrait être réservée qu’à quelques usines qui ne peuvent pas utiliser l’électricité pour fonctionner, on ne voit pas les VRAIES solutions à la crise climatique.
L’électrification, l’installation de thermopompes, le stockage thermique, la sobriété énergétique, voilà des alternatives qui mériteraient une campagne publicitaire d’envergure et qui nous permettraient d’atteindre le seul vrai objectif climatique qui soit : sortir de notre dépendance aux énergies fossiles.
C’est sûr que ça va un peu à l’encontre du modèle d'affaires de l’entreprise de distribution de gaz, mais on ne fera pas de transition en perpétuant le statu quo.
4. Il y a trop peu d'études sur le potentiel et l'impact du GNR
Le développement de la filière GNR n’a fait l’objet ni d’une évaluation environnementale stratégique, ni d’un débat public large. Selon un récent rapport, le véritable potentiel de production de GNR au Québec est inconnu car les estimations publiées incluent d’importants volumes de biomasse qui sont déjà utilisés de manière plus rentable ou plus écologique et, surtout, que la filière GNR peut, au moins dans certains cas, alimenter le réchauffement climatique et non le freiner.