Charles-Édouard Têtu
Analyste, Politiques climatiques et énergétiques
La COP29 s'est officiellement ouverte le 11 novembre à Bakou en Azerbaïdjan, et pour les deux prochaines semaines, nous permettra de percevoir le monde dans lequel nous vivrons dans 25 ans. S’il est impossible pour l’humanité de voir le futur, la tenue d’une COP ainsi que les analyses offertes par les rapports climatiques internationaux sont ce qui se rapproche le plus d’une boule de cristal. À défaut de répéter, les négociations de cette année sont d’une importance capitale, alors que la semaine dernière encore, nous avons été témoins de la violence inouïe de la crise climatique qui a ravagé la ville de Valence en Espagne. Donc cette année, qu’aurons nous à l'œil lors de notre passage à Bakou?
La finance climatique et notre responsabilité collective
On s’attend cette année à une COP difficile. D’une part, le sommet climatique international se tient dans un pays producteur de pétrole et qui a l’habitude de réprimer les démonstrations menées par des activistes écologistes. De l’autre, la présidence souhaite conclure les négociations entourant l’Objectif collectif quantifié de financement climatique et ainsi définir les sommes que devront verser les pays du Nord au fonds climatique international.
Pourquoi parler de finance internationale?
C’est une question de justice climatique et de réparabilité. Durant les 200 dernières années, les pays développés, dont le Canada, se sont industrialisés par des activités excessivement polluantes. De leur côté, les pays du Sud, qui n’ont pas pu s’industrialiser, polluer et s’enrichir, se retrouvent aujourd’hui à subir les conséquences des changements climatiques, exacerbés par les émissions des pays du Nord. Face à la crise et ses conséquences, les pays du Sud demandent maintenant qu’un fonds de 1 trilliard de dollars soit mis à leur disposition afin d’adopter des politiques d’adaptation sur leurs territoires. En gros, on souhaite appliquer le concept de pollueur-payeur à l’échelle mondiale et utiliser le fonds comme moyen de financement pour les pays du Sud.
Du côté d’Équiterre, nous souhaitons rappeler que le Canada est l’un des plus grands pays producteurs de pétrole du monde et donc est en grande partie responsable de la crise des changements climatiques. Avec un retrait potentiel des États-Unis autour de la table au cours des prochaines années, nous jugeons qu’il serait stratégique pour le Canada d’assumer son rôle de leader sur la scène internationale en assumant ses responsabilités plutôt qu’en privilégiant les profits générés par le pétrole et le gaz.
Les cibles définies nationalement
Sans surprise, les cibles de réduction de GES seront aussi à l’ordre du jour à Bakou. En respect de Accord de Paris sur le climat, les pays signataires devront annoncer en 2025 leurs plans et leurs cibles de réduction de GES. Considérant que le Canada est le pays le moins performant du G7 quant à sa réduction d’émissions de GES, nous nous attendons à ce que les nouvelles cibles soient ambitieuses alors que la fenêtre pour limiter le réchauffement climatique à 1,5° se referme rapidement.
Le Canada n’a su réduire ses émissions de GES que de 7 % par rapport à 2005 alors qu’il s’était engagé vers des cibles de 40 à 45 % de réduction d’ici 2030. Équiterre sera présente à la COP pour rappeler à nos leaders deux choses :
Il nous reste encore du temps pour agir, mais nous devons redoubler d’ambition et agir maintenant pour réduire nos émissions;
Plus du tiers de nos émissions de GES nationales proviennent du secteur pétro-gazier et donc nous devrions en faire plus pour encadrer les activités de ces entreprises.
La COP multiplie l'attention que portent la société civile et les médias aux enjeux de lutte aux changements climatiques. Ainsi, devant la lenteur d’action de notre gouvernement, nous serons sur place pour tenir le Canada redevable des engagements auxquels il a adhéré et poursuivrons de mettre de la pression sur nos négociateurs afin de faire adopter des cibles toujours plus ambitieuses. La présentation du règlement sur le plafonnement des émissions de GES du secteur pétro-gazier annoncé par le Canada est un bon début, encore faut-il rappeler que le règlement n’encadre toujours pas la production totale de pétrole permise sur le territoire et permet toujours au gouvernement fédéral d'utiliser de l’argent public pour investir dans ce secteur. Il est temps de voir des actions conséquentes nous permettant d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Que faire face à la crise?
Une chose est claire : nous sommes à l’ère des bouleversements climatiques. Au Québec comme au Canada, les dernières années ont été annonciatrices de ce qui nous guette si nous ne parvenons pas à freiner le réchauffement climatique. Inondations, tempêtes tropicales, feux de forêt, bris d'infrastructures et chaleur extrême font maintenant partie de notre quotidien. Notre situation, cependant, n’est pas unique et partout sur la planète on subit des phénomènes météorologiques extrêmes. Devant ce constat, la présidence de la COP souhaite faire de l’adaptation un sujet phare des négociations.
À l'issue des négociations tenues à la COP28, l’objectif mondial d’adaptation fut adopté. À cet effet, plusieurs États, dont le Canada, ont adopté ou élaborent actuellement leurs stratégies nationales d’adaptation. Dans le cas du Québec, aucun plan national d’adaptation n’a été adopté depuis 2020 alors que la province est plus touchée que jamais par les changements climatiques. Équiterre se rend donc à Bakou pour demander au gouvernement du Québec d’adopter une réelle politique cadre en adaptation et fera de cette demande le cœur de sa participation aux négociations.
J’animerai ainsi un panel constitué de spécialistes des questions d’adaptation au Pavillon du Canada où nous aborderons la question de l’importance de créer des espaces de collaboration et de dialogue pour rendre possible l’élaboration de politiques d’adaptation qui répondent aux besoins et aux particularités socioéconomiques et culturelles des régions touchées. L’évidence que nous existons dans l’ère des dérèglements climatiques s’accompagne d’un critère fondamental : tout le monde en subira les conséquences. À cet effet, nous souhaitons donner la parole à des acteurs et actrices de la société civile qui ont longtemps été mis à l’écart des espaces politiques dans le but de valoriser leur expertise et intérêts.
De l’importance d’être présent(e)
Alors que la crise climatique s’aggrave, les COP demeurent les espaces privilégiés pour l’élaboration d’un dialogue international. Les critiques soulevées à l’égard de ces sommets ainsi que des accords peu contraignants qui en résultent demeurent valides et se doivent d’être adressées. Toutefois, nous avons le devoir d’agir face à la crise. Il n’est pas trop tard pour limiter les impacts des changements climatiques sur nos écosystèmes et donc sur notre quotidien. Il n’est pas trop tard pour s’engager dans les espaces de collaboration internationale. On se doit de prendre part à ces espaces et de rappeler aux États du monde que leurs citoyens et citoyennes en demandent plus. Nous n’avons pas le luxe d’abdiquer.