Colleen Thorpe
Directrice générale
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Nous voici enfin arrivés à un moment de l’histoire où il n’est plus tabou de remettre en question les principes qui sous-tendent notre modèle économique, comme la surexploitation des ressources. Nous pouvons ouvertement discuter de l’aspect non durable de nos façons de produire et de consommer et réaliser qu’il n’est pas suffisant de mesurer le développement de notre société par le taux de croissance du PIB.
Dès le début de 2022, le GIEC nous a dit que nos gouvernements et, par conséquent, le reste de la société, sont loin d’être prêts à affronter les coûts astronomiques que la crise climatique entraîne déjà et qu’elle entraînera inévitablement plus tard – qu’il y a un écart marquant entre ce que les scientifiques proposent et la volonté politique de nos gouvernements.
On ne fera pas de transition sans modification majeure de notre façon de nous déplacer, de nous nourrir, de consommer et d’occuper le territoire.
Un défi de taille, oui. Mais l’expérience des presque 30 ans d’Équiterre nous montre que la sensibilisation, la mobilisation et le plaidoyer politique font réfléchir et font réagir, permettant ainsi des changements de comportements et des changements systémiques.
Je suis fière qu’Équiterre ait réussi, au fil des années, à défier les normes sociales existantes et à les changer. Au courant de 2022, nous ne manquions pas d’enjeux sur lesquels sensibiliser et mobiliser.
La sobriété n’est plus juste une question d’alcool
La sobriété est un de mes concepts préférés, car elle est la solution la plus porteuse dans toutes les sphères. En réduisant la consommation (et on s'entend, il s'agit ici de viser les grands consommateurs dans une perspective d'équité), en réduisant la demande, on réduit par le fait même la production, l’extraction et la pollution. Qu’il soit question de sobriété énergétique, de consommation ou de la taille de nos véhicules, d’énormes gains sont possibles grâce à une réorientation de nos systèmes, de nos perspectives et de nos priorités vers la sobriété.
Ce qui est encore plus important que la substitution des énergies fossiles par des énergies moins polluantes, c’est la sobriété énergétique et les moyens à mettre en place pour limiter notre consommation collective. Réduisons notre demande pour cette extraction, ces minéraux, ces infrastructures et limitons leur impact sur nos terres, notre eau, notre air.
La mobilité électrique devient courante
L’augmentation des prix du gaz cette année a provoqué un déclic pour de nombreux automobilistes : le temps est venu de faire la transition vers la mobilité électrique. Nous avons démontré quela population canadienne souhaite que les constructeurs automobiles passent aux véhicules zéro émission et aussi qu’une réglementation forte pourrait faire baisser les prix de ces derniers.
Mais ça ne s’arrête pas aux autos! La mobilité électrique partagée et active a, elle aussi, le vent dans les voiles. La population québécoise manifeste un engouement certain pour le vélo à assistance électrique, en partie grâce à notre campagne Vélovolt, et les autobus scolaires seront de plus en plus électriques à travers le pays, grâce à notre nouvelle Alliance canadienne pour l’électrification des autobus scolaires. Nous encourageons également l’accélération du déploiement de camions électriques pour les livraisons urbaines dans notre rapport qui vise à réduire les émissions des camions à Montréal.
Les solutions à la crise des déchets et la surexploitation des ressources deviennent de plus en plus évidentes
Le déchet le plus facile à gérer, c’est celui qu’on ne produit pas et le BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) l’a souligné à gros trait en début d’année. On doit miser d’abord et avant tout sur la réduction à la source et le réemploi.
La réparation s’impose comme une solution incontournable pour limiter les impacts environnementaux et socio-économiques liés à la fabrication des appareils, à un moment où, selon notre nouvelle étude, moins de 19 % de la population canadienne fait réparer leur appareil lors d’un bris. Équiterre a également émis des recommandations gouvernementales pour encourager l’utilisation accrue des contenants à remplissages multiples et a fait la promotion d’un guide pour encourager les commerces et les consommateur(-rice)s à privilégier les contenants réutilisables. En plus, en cette année où la ville de Montréal a enfin réglementé pour ajouter un opt-in sur les circulaires au lieu de poursuivre leur distribution automatique, nous avons mobilisé nos sympathisants à l’extérieur de la métropole à écrire à leur maire ou mairesse pour demander la même chose dans leur région.
L’aménagement du territoire reconnu pour son impact sur la crise bioclimatique
L'aménagement est à la base du problème et au cœur des solutions en ce qui a trait aux changements climatiques et à la perte de biodiversité. Les écosystèmes sont découpés par des routes, défrichés pour l’expansion urbaine et industrielle, creusés pour des minéraux… Notre système économique actuel, et dans une certaine mesure nos gouvernements, ne priorise pas le vivant.
La population le ressent. Équiterre reçoit des messages de la part de citoyen(ne)s venant des quatre coins du Québec, inquiet(-ète)s de la façon dont on développe le territoire et dont on modifie les milieux de vie. La forte mobilisation contre le projet autoroutier du 3e lien entre Lévis et Québec (qui d’ailleurs, ne passe pas le test climat) démontre qu’il est temps de repenser nos modes de transport et nos pratiques d’aménagement.
Après une vaste consultation nationale, le gouvernement du Québec a enfin publié sa nouvelle Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire en juin dernier. Bien que les axes d’intervention soient les bons, il n’y a encore rien de concret, donc nous attendons un plan de mise en œuvre en 2023.
L’agriculture et l’alimentation durables valorisées
En février, le ministère de l’agriculture a répondu à notre demande en annonçant un investissement pour encourager les fermes québécoises à adopter des pratiques agroenvironnementales, qui a été bonifié tout récemment grâce à l’enthousiasme de nos producteurs et productrices. Une mobilisation d’Équiterre pour encourager le gouvernement fédéral à offrir un soutien similaire pourrait avoir un impact sur la future stratégie fédérale pour une agriculture durable, qui vient d’être soumise à des consultations.
Pour soutenir le mouvement d’alimentation durable en institution, Équiterre a aussi mis sur pied un nouveau portail web ce printemps. En seulement un an, les membres de notre communauté de pratique, Commun’assiette, ont dépassé leur cible et atteignent 60 % d’achats d’aliments locaux dans leurs institutions.
L’écoblanchiment davantage sous la loupe
Il ne manquait pas d’exemples des efforts menés par l’industrie ou les gouvernements pour vanter leurs produits « verts » ou leurs politiques « durables » en 2022.
L’industrie du gaz fossile a essayé de profiter de la situation énergétique en Europe, causée par la guerre en Ukraine, pour relancer des projets de gaz fossiles dans l’Est du Canada comme s’il s’agissait d’une solution. Nous n’avons pas hésité à crier à la malhonnêteté, car les besoins énergétiques de l’Europe seront en grande partie résolus des années avant que ces nouvelles infrastructures soient opérationnelles.
En parlant de gaz, Équiterre a participé à écraser la promotion du nouveau programme biénergie électricité-gaz, qui, en plus d’être polluant, pourrait coûter jusqu’à 17 % plus cher pour les consommateur(-trice)s. Équiterre a également mis sous la loupe l’effort publicitaire d’Énergir sur le gaz naturel renouvelable et a sensibilisé sur l’hydrogène, souvent vanté comme solution énergétique, mais sur lequel des nuances importantes doivent être apportées.
Et quand le gouvernement du Québec a mis à jour son Plan pour une économie verte, qui atteindra seulement 50 % des objectifs d’une cible climatique inadéquate, on ne l’a pas laissé passer.
Et bien sûr, le déclin des énergies fossiles
Il s’agit d’un point culminant que nous sommes contents de répéter année après année, même si son dernier chapitre ne peut venir assez rapidement. Des victoires immensément importantes ont eu lieu en 2022.
Après une vaste mobilisation, le Québec est enfin protégé légalement contre l’industrie des énergies fossiles, devenant le premier État à travers le monde à interdire l’exploitation pétrolière et gazière sur son territoire. Le Québec a également mis le dernier clou dans le cercueil du projet GNL Québec, au début de 2022.
Ce printemps, le gouvernement du Canada nous a présenté le plan le plus complet à ce jour pour réduire nos émissions de GES vers l’atteinte de notre cible de 2030. Il a aussi enfin rendu public un plan visant à restreindre le nouveau financement public des combustibles fossiles à l’international et à prioriser l’investissement dans les énergies propres. La prochaine étape : s’attaquer au financement domestique des énergies fossiles.
Il y a quand même une grosse tâche noire au tableau de cette année : l’approbation fédérale pour le projet pétrolier Bay du Nord. Équiterre ne lâche pas le morceau. Avec Sierra Club, nous poursuivons le gouvernement fédéral pour cette décision. Nous continuons également de mobiliser la population canadienne contre le projet, en sensibilisant sur les dangers, tant pour la biodiversité que pour le climat.
Parfois, à force d’avancer dans un sentier plein d’embûches, on ne prend pas le temps de regarder derrière pour constater le grand chemin déjà parcouru et être fier(-ère)s et reconnaissant(e)s de la multitude de voix et d’expertises dont est doté le mouvement environnemental. Équiterre est choyée de travailler en collaboration avec beaucoup d’autres groupes, notamment cette année pour les élections provinciales via Vire au vert et lors de notre participation à la COP27 sur la crise climatique et à la COP15 sur la biodiversité.
Ensemble, on est fort. On va continuer de brasser la cage, on va continuer d’avancer en faisant progresser d’autres normes sociales dans les années à venir. C’est notre avenir qui se construit et qui en dépend.
Je vous encourage à en discuter avec vos proches en 2023. C’est ainsi qu’on réussi à avancer.
Merci de votre écoute, merci de votre soutien.
Bonne année 2023 ✨
Directrice générale
Colleen Thorpe
Directrice générale
Diplômée en journalisme et titulaire d'une maîtrise en gestion de l'environnement, Colleen Thorpe possède 25 ans d'expérience dans la défense de l'environnement et du changement social. Elle a une excellente connaissance des systèmes alimentaires durables, de l'économie circulaire et de la responsabilité sociale des entreprises. Au cours de sa carrière, elle a mené de nombreux programmes visant à influencer les décideurs et mobiliser les citoyens vers une transition écologique.
Colleen rejoint Équiterre en 2008, d'abord à titre de gestionnaire principale de projets, ensuite de directrice des programmes, avant de devenir directrice générale en 2019. Auparavant, Colleen a travaillé comme journaliste pour plusieurs chaînes de télévision couvrant l’actualité au Québec. Elle parle également couramment l'allemand, ayant travaillé et étudié à Berlin pendant plusieurs années.
Colleen est fiduciaire de la Fiducie foncière agricole UPA-Fondaction et siège au conseil d’administration de la Maison du développement durable. Elle a également été administratrice du Centre des services partagés du Québec, du Système alimentaire montréalais et de l’Espace de concertation sur les pratiques d’approvisionnement responsable.
Extraits d’entrevues avec Colleen Thorpe
Entrevue télévisée, « Le contenu de votre assiette risque de changer avec le réchauffement climatique », Émission l'Épicerie de Radio-Canada, 4 avril 2019
Entrevue radiophonique, «Les jeunes à la rescousse du climat », Pour faire un monde de Radio-Canada, 15 mars 2019
Entrevue écrite, « Les GES dans l’assiette, un pas plus facile à franchir que d’autres » Le Devoir, 17 novembre 2018
Entrevue écrite, « De petits et de grands gestes pour la planète » La Presse, 22 avril 2019
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