Colleen Thorpe
Directrice générale
Publié le
Le plus gros rabais, il est dans nos cuisines. Oui, cuisiner à partir d’aliments non apprêtés est possiblement la solution la plus prometteuse pour notre portefeuille, notre santé et notre environnement. Cette stratégie est pourtant peu mise de l’avant.
Alors que le prix galopant de notre épicerie continue de faire peser un lourd poids sur nos finances personnelles, certains experts s’attardent sur des solutions que l’industrie agroalimentaire préconise pour nous faire économiser sans affecter les dividendes à leurs actionnaires : la fréquentation des nouvelles bannières à bas prix et le « couponing », c’est-à-dire, la recherche effrénée des rabais.
Ces nouveaux comportements ne sont toutefois pas sans impact. Ils font souvent en sorte que l’on consomme davantage d’aliments suremballés et de moindre qualité, donc moins bons pour notre santé. La multiplication des bannières non traditionnelles comme Tigre Géant et Dollarama pourrait compromettre durablement notre capacité à accéder à des aliments sains. Et ce n’est pas nécessairement mieux pour notre portefeuille non plus.
Un exemple évident? Selon un calcul de la Chaire de recherche du Canada sur les inégalités en nutrition et santé, un pâté chinois fait maison coûte trois fois moins cher et contient sept fois moins de sel que son équivalent prêt-à-réchauffer du commerce!1
Le plat transformé acheté en magasin, même s’il est en rabais, s’avérerait donc souvent moins bon pour notre santé et pour notre facture d’épicerie.
Plusieurs ont compris
La bonne nouvelle, c’est que malgré cette nouvelle réalité alimentaire, près de la moitié des foyers canadiens cuisinent davantage à la maison qu’avant ou planifient mieux les repas pour éviter le gaspillage. Une étude de Nielsen IQ mentionne que ces deux stratégies sont utilisées par respectivement 59 % et 46 % de la population canadienne, ce qui est non négligeable et démontre que beaucoup d’entre nous posent quand même des gestes positifs pour notre santé et l’environnement.
Autre exemple de cette conscience collective : selon l’Observatoire québécois de la consommation responsable, l’économie locale reste une motivation importante pour la population d’ici et la consommation de viande continue de diminuer au Québec. Ces tendances sont fort encourageantes, car un autre rapport récent soulignait justement que la consommation de protéines végétales et l’achat en saison permettent de faire baisser le prix du panier d’épicerie tout en répondant aux besoins nutritionnels.
Pas tous égaux
Malgré ces éclaircies, de nos jours, naviguer parmi les choix alimentaires demeure un véritable parcours du combattant.
Cela exige du temps, des connaissances et des ressources : un luxe bien souvent réservé aux plus privilégiés d’entre nous. L’alimentation saine est aussi influencée par plusieurs facteurs tels que la capacité individuelle à planifier et préparer les repas, les efforts de sensibilisation et la lutte contre la désinformation.
C’est donc bien démontré : le marché ne peut à lui seul régler les enjeux sociétaux auxquels nous faisons face sur le plan de l’alimentation. C’est pourquoi il est important de parler de l’éducation culinaire, des mesures sociales et de la réduction des iniquités en matière d’alimentation comme étant les meilleures solutions à long terme pour nous sortir de cet état de précarité qui nous affecte tous et toutes à divers degrés.
Il est absolument nécessaire de continuer à nous outiller collectivement pour faire des choix éclairés, que ce soit à travers nos écoles, nos CPE, nos hôpitaux ou dans nos cuisines mêmes. C’est ce qu’Équiterre essaie de faire présentement avec une campagne que nous avons lancée récemment qui s’appelle Bien manger, bon marché et c’est ce qui ressort des discussions entourant la création d’un programme d’alimentation scolaire universel depuis quelques mois.
Bref, si on veut arrêter de manger nos bas, l’appétit collectif pour d’autres solutions que celles proposées par l’industrie doit se creuser.
Cette lettre a initialement été publiée dans La Presse le 9 novembre 2024
- D’après des relevés de prix effectués du 24 au 28 octobre 2024 dans les plus grandes bannières de supermarchés de la grande région de Montréal.