Blandine Sebileau
Analyste, Mobilité durable
Publié le
Quel début d’année dans le monde du véhicule électrique (VE) !
Avec la pause prévue des subventions du gouvernement du Québec et celle annoncée avec fracas par le fédéral, un vent de panique et, disons-le, de désinformation semble s’être emparé des discussions sur l’électrification dans les dernières semaines. Regardons donc ça ensemble la tête froide, une question à la fois.
L’industrie automobile était-elle prête à la suspension des subventions ?
La réponse courte, c’est oui.
Même si l’annonce du gouvernement fédéral s’est faite de manière plutôt abrupte, les constructeurs savent depuis des années que les subventions ne seraient pas éternelles et ont pris en compte cette variable dans leur plan d’affaires.
Il faut rappeler que les subventions constituent une mesure temporaire et visaient initialement à donner un coup de pouce pour inciter un changement de comportement, et non un soutien ad vitam aeternam à une industrie ayant choisi de s’orienter vers des modèles toujours plus gros, chers et, ultimement, plus rentables pour eux.
Au Québec, la transformation du marché avance vraiment bien. Ceux et celles qui n’ont pas avalé les messages de désinformation sur les VE le savent : le Québec est en avance de 2 ans sur ses objectifs de ventes. L’an passé, un véhicule neuf vendu sur trois était un véhicule électrique.
Si on en est là, c’est avant tout grâce à la norme VZE : la réglementation qui a fait en sorte que, depuis 2018, on trouve de plus en plus d’options électriques chez nos concessionnaires, non seulement en quantité, mais aussi en nombre de modèles disponibles. La norme crée le marché.
Ça fonctionne tellement bien au Québec que, fin 2023, le Canada a mis en place sa propre réglementation. Depuis, les ventes décollent à l’échelle du pays.
Pourquoi les fabricants réclament-ils donc la fin de cette réglementation ?
Premièrement, quand on parle des fabricants, de qui parle-t-on ?
Ceux qui se sont lancés dans l’électrification les premiers et ont investi des milliards de dollars dans des chaînes de production neuves pour construire des VE ont tout intérêt à continuer à en vendre pour rentabiliser leurs investissements. Ces mêmes fabricants — qui ont accumulé des milliers de crédits au Québec grâce à la réglementation et qui ont engrangé des revenus grâce au judicieux système de transfert — qu’ont-ils à dire sur cette situation ? On a entendu certaines associations de constructeurs demander le retrait de la norme VZE, mais est-ce que l’industrie parle vraiment d’une seule voix ?
La vérité, c’est que les fabricants qui ont le plus tardé à sortir leurs premiers modèles électriques sont ceux qui ont le plus à perdre avec la réglementation en place au Québec et au Canada. Les bons élèves, eux, ont tout à y gagner.
Les prix vont-ils monter à cause de la pause des subventions ?
La bonne nouvelle pour ceux et celles qui ont besoin d’un véhicule, c’est que la réglementation VZE, elle fait justement en sorte que les prix diminuent. On parle d’une baisse de 22 % d’ici 20351.
Les fabricants ont donc deux choix.
Premièrement, ils peuvent baisser leurs prix pour s’ajuster aux capacités financières des acheteurs — les rabais offerts par certains fabricants ces dernières semaines indiquent qu’ils ont la capacité de le faire.
Deuxièmement, ils peuvent réorienter leur production vers des modèles moins gros et plus abordables pour permettre aux ménages d’accéder aux VE.
Et avec l’argent des subventions, on fait quoi maintenant ?
Si le gouvernement du Québec veut continuer d’investir dans le soutien à l’achat de véhicules électriques, il serait plus efficace de réserver les subventions aux ménages les moins fortunés qui ne possèdent pas encore de VE et de mettre en place un système de redevance-remise sur les véhicules (par exemple, 1 % du prix de vente d’un véhicule à essence), afin de favoriser l’essor de modèles moins énergivores et moins coûteux. En gros, les subventions aux véhicules électriques se paieraient d’elles-mêmes! Ça fait des années qu’Équiterre talonne le gouvernement pour mettre un tel système en place.
Et parce qu’une bonne idée mène souvent à une autre, pourquoi ne pas investir les sommes ainsi dégagées dans l’amélioration des services de transports collectifs ? Rappelons qu’il est cinq fois plus rentable pour la société d’investir dans le transport collectif que dans les infrastructures routières.
Bref, avant de paniquer, il faut se rapporter aux faits et se rappeler que nous avons une stratégie d’électrification. Une stratégie perfectible certes, mais une stratégie qui fonctionne.
- Rapport du bureau parlementaire du budget Canada, août 2024.