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Opinion  •  4 min

Un coup de pouce politique s’impose pour des assiettes plus vertes

Publié le 

Ce que nous mangeons est le reflet de notre histoire et de notre culture. Aujourd’hui, alors que se déroule la COP29, les défis environnementaux et la nouvelle réalité du panier d’épicerie plus coûteux nous appellent à faire évoluer nos habitudes.

Nous, 40 cosignataires des milieux universitaire, environnemental, de la santé et de la nutrition, vous demandons, monsieur le ministre Benoit Charette, de reconnaître le consensus scientifique et de mettre en place une stratégie québécoise pour favoriser des tendances alimentaires plus durables et soutenir les productions agricoles d’avenir.

Mettre les végétaux en vedette

D’après l’Institut de la statistique du Québec, lorsque l’on considère les émissions liées aux produits de consommation, l’alimentation arrive au deuxième rang du bilan des GES des ménages québécois, tout juste derrière les combustibles fossiles. La viande et les produits laitiers représentent plus de la moitié de ces émissions, mais moins de 20 % du poids de nos assiettes. Cet impact disproportionné est notamment lié au méthane généré par l’élevage de ruminants et à l’utilisation inefficace de nos ressources.

On ne compte plus les études qui démontrent qu’ici comme ailleurs, les productions végétales génèrent moins de GES, nécessitent moins de terres et requièrent moins d’eau que les élevages, à quantités de protéines égales. À cela s’ajoutent d’autres enjeux tels que la pollution, le déclin de la biodiversité et l’antibiorésistance.

Et réjouissons-nous du fait que les choix écologiques s’accompagnent de bienfaits pour la santé. En effet, le Guide alimentaire canadien nous recommande de choisir des protéines végétales plus souvent, ce qui réduit le risque de maladies chroniques, dont le diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et de certains types de cancers.

Sans nécessairement faire une croix sur les aliments d’origine animale, il faut viser « moins et mieux », pour reprendre le constat de l’association Réseau action climat en France.

Une tendance déjà en marche

La population québécoise emboîte déjà le pas. Dans les librairies et sur les réseaux sociaux, les recettes végé ont la cote. Entre 2004 et 2015, nous avons diminué notre consommation de boeuf de 23 % et de lait de 18 %, alors que les noix et les légumineuses ont connu une augmentation de 58 %, selon Statistique Canada.

Cette tendance encourageante nécessite un coup de pouce politique pour qu’on atteigne les cibles de « l’assiette de santé planétaire », un guide développé en 2019 par une trentaine de spécialistes internationaux réunis au sein de la Commission EAT-Lancet. Selon la commission, réorienter le système agroalimentaire mondial de manière à assurer une planète habitable impliquerait, pour les régions comme le Québec, de remplacer 50 % des produits animaux consommés par des aliments végétaux, de pair avec des mesures pour contrer le gaspillage alimentaire.

Or, le Plan pour une économie verte 2030 reste muet sur notre consommation de viande et de produits laitiers, et les politiques existantes misent sur l’amélioration des techniques agricoles ou encore sur l’alimentation locale. Manger local est bénéfique à bien des égards, mais comme plus de 80 % des émissions liées à notre alimentation relèvent de la phase de production, il faut favoriser des habitudes à la fois plus locales et plus végétales.

Des incitatifs pour donner de l’élan au mouvement

Plusieurs pistes de solution s’offrent à nous. Elles s’articulent autour de la sensibilisation ainsi que de l’augmentation de l’offre d’aliments végétaux, sans imposer de restriction aux gens.

Un bon point de départ serait de leur permettre d’y voir plus clair grâce à l’affichage du bilan environnemental des aliments en épicerie et dans les cafétérias des écoles, universités et hôpitaux. Les ministères et organismes du gouvernement pourraient aussi faire preuve d’exemplarité en alignant leurs ententes de concession alimentaire sur le Guide alimentaire canadien. Songeons aussi à offrir une vitrine aux restaurants et aux commerces de détail offrant plus d’options végétales.

Au sud de la frontière, la ville de New York a instauré dans ses hôpitaux des mets végétaliens « par défaut » tout en laissant le libre choix à sa patientèle. Plus de la moitié a conservé l’option végétale, et 95 % disent en avoir été satisfaits. Voilà un changement simple d’application qui permet aussi des économies, car les protéines végétales coûtent moins cher — un atout à ne pas négliger dans un contexte d’augmentation du coût de la vie.

Bien sûr, la réussite de cette transition repose aussi sur des mesures d’accompagnement pour notre main-d’oeuvre agricole. Aidons-la à tirer parti des possibilités qu’apportent les filières végétales, un secteur d’avenir dans un contexte de transition écologique mondiale.

C’est en collaborant tous ensemble que nous arriverons à changer les choses. Le Québec doit se doter d’une stratégie de promotion des aliments végétaux qui donnera un nouvel élan à la transition. En pleine crise climatique, nous n’avons pas le luxe de nous passer de ce puissant levier.

* Ont cosigné cette lettre : Anaïs Barbeau-Lavalette, autrice, cinéaste et co-instigatrice de Mères au front ; Ann Everitt, conseillère en transition socioécologique, administratrice de Transition AlimenTerre Québec ; Anne-Marie Roy, nutritionniste-diététiste ; Annie Chaloux, professeure agrégée en politiques environnementales, Université de Sherbrooke ; Catherine Houbart, directrice générale, GRAME — Groupe de recommandations et d’actions pour un meilleur environnement ; Clélia Sève, directrice générale, Regroupement des éco-quartiers ; Colleen Thorpe, directrice générale, Équiterre ; Danie Martin, citoyenne engagée pour une saine alimentation scolaire ; Alain Vadeboncoeur, urgentologue, auteur et professeur titulaire, Université de Montréal ; Éric Notebaert, professeur agrégé, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, coordonnateur du Groupe Crise climatique et santé planétaire ; Martin Juneau, cardiologue, professeur titulaire, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, directeur de l’Observatoire de la prévention de l’Institut de cardiologie de Montréal ; Éliane Brisebois, agente de recherche, Chaire de recherche sur la transition écologique, UQAM ; Élise Desaulniers, écrivaine, journaliste et activiste ; Éric Brassard, fellow de l’Ordre des CPA, cofondateur de Transition AlimenTerre Québec ; Erik Frenette, économiste et consultant principal en changements climatiques, SSG ; Ève Landry, comédienne et membre de Mères au front ; François Delorme, professeur associé en économie de l’environnement, Université de Sherbrooke ; Hugo Cordeau, candidat au doctorat en économie, Université de Toronto ; Hugo Séguin, professeur associé, Université de Sherbrooke et conseiller principal, Copticom ; India Desjardins, écrivaine et scénariste ; Jérôme Larivière, candidat au doctorat en sciences économiques, Université McGill ; Johanne Whitmore, chercheuse principale, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal ; Lise Bizzoni, codirectrice générale, Réseau des femmes en environnement et Conseil québécois des événements écoresponsables ; Martin Gibert, philosophe et chercheur en éthique ; Martin Quirion, auteur, cofondateur de Transition AlimenTerre Québec ; Olivier Bernard alias « Le Pharmachien », pharmacien et vulgarisateur scientifique ; René Audet, professeur et titulaire de la Chaire de recherche sur la transition écologique, UQAM ; Serge Dupuis, gestionnaire en enseignement supérieur ; Sophie-Laurence H. Lauzon, codirectrice générale, Réseau des femmes en environnement et Conseil québécois des événements écoresponsables ; Stéphane Groleau, conférencier et organisateur en alimentation durable ; Thierry Bachelier, directeur général, Réseau alimentaire de l’est de Montréal ; Victor Bonnici, analyste en inventaires GES agricoles, cofondateur de Transition AlimenTerre Québec ; Yves-Marie Abraham, professeur, HEC Montréal ; Catherine Houssard, agente de recherche, CIRAIG, cofondatrice et directrice générale par intérim, PolyCarbone ; Karel Mayrand, président-directeur général, Fondation du Grand Montréal.

Cette lettre a été initialement publiée par Le Devoir.