Publié le
La sortie du plan d'action québécois sur les véhicules électriques était attendue et il semble qu'à Québec, on ait voulu mettre le paquet pour donner du tonus à cette belle annonce.
Une firme de communication a manifestement reçu le mandat de créer un logo vert de voiture branchée sur le 220, un site Internet spécialement dédié a été mis en ligne et la SAAQ s'est fait tordre un bras pour produire une plaque d'immatriculation verte qui sera remise aux heureux propriéraires d'autos hybrides branchables ou tout électrique.
On a fait atterrir quatre ministres - quatre! - et même le premier ministre pour cette grande annonce, debout, les mains sagement croisées par en avant, comme une rangée de joueurs de soccer essayant de bloquer un tir de penalty.
La conférence de presse était web-diffusée en direct, et même twittée.
On aurait dit qu'on réannonçait le Plan Nord, pour la 5e fois.
Derrière les dignitaires, sur fond de grandes tentures de velours noir, une dizaine de chars électriques dans une ambiance de showroom de Salon de l'auto.
- « Si on comprend bien le message, monsieur le Premier Ministre », de demander un journaliste, « vous êtes en train de dire aux Québécois de s'acheter une voiture électrique? ».
- « Exactement ».
L'accueil public de cette annonce a été plutôt tiède, c'est le moins que l'on puisse dire. Et le gouvernement semble s'en étonner. La réaction d'Équiterre, nuancée, comme toujours, s'est même attirée les foudres de certaines officines ministérielles, incrédules devant notre incapacité d'y voir-là l'équivalent d'un vaste projet de société.
Nous avons fait la même réponse que d'habitude : sortez une belle politique, nous l'applaudirons. Sortez-en une mauvaise, nous le ferons savoir. Sortez-en une moche, ben... on va dire qu'elle est moche.
Et bien malheureusement, celle sur les véhicules électriques était plutôt décevante. Entre autres parce que les gains environnementaux qu'on en tire apparaissent très modestes. Et aussi parce que le gouvernement a essayé de la faire passer pour une grande politique nationale de lutte aux changements climatiques et de réduction de la dépendance au pétrole.
Elle n'est ni l'une, ni l'autre.
L'idée d'encourager l'électrification des transports n'est pas mauvaise en soi. C'est même une idée intelligente pour une société flottant dans de grands surplus d'énergie peu émettrice de gaz à effet de serre.
À terme, un secteur des transports tout électrique réduirait de plus de 30% nos émissions. On ne lève pas le nez sur un tel objectif, même si ça prendrait du temps pour se rendre jusque là.
En plus, on peut travailler à faire atterrir au Québec un créneau en pleine croissance de l'économie verte. Comme quoi environnement et développement économique peuvent aller de pair.
Mais voilà, le plan d'action dévoilé la semaine dernière est, au mieux, un signal, un encouragement aux consommateurs, aux sociétés de transport et aux entreprises de camionnage de commencer à considérer des véhicules électriques. On se donne des moyens financiers sommes toutes modestes pour le faire.
Il s'est ajouté quelque 90 000 véhicules au parc automobile québécois, en moyenne par année, entre 2000 et 2009. Une croissance de 24% alors que la population, elle, n'augmentait que de 5,8%. Il y a aujourd'hui plus de 4,2 millions de voitures sur nos routes. Si l'on fait l'hypothèse que le taux de croissance du parc sera plus modeste d'ici 2020, on finira tout de même la décennie avec un parc automobile de 4,8 - 4,9 millions de véhicules. Quelque 600 000 de plus qu'aujourd'hui, en étant conservateur.
Grâce entre autre à l'étalement urbain, nos voitures de plus en plus nombreuses parcourent de plus en plus de kilomètres. Entre 2000 et 2007, selon Statistiques Canada, le kilomètrage annuel parcouru par le parc automobile québécois est passé de 50 à 71 milliards de kilomètres, une hausse de 43%.
D'ici 2020, dans le cadre des politiques actuelles, nous devrions donc avoir plus de 600 000 voitures de plus sur nos routes, des voitures qui parcourront, individuellement, en moyenne, encore plus de kilomètres chaque année.
Le plan d'action sur les véhicules électriques souhaite qu'il y ait 300 000 véhicules électriques en 2020, soit autour de 5% du parc automobile québécois. Même si aucune d'entre elles n'émet de gaz à effet de serre ni ne consomme de pétrole, il y aura encore plus de voitures au pétrole et au diesel sur nos routes à la fin du plan d'action, qu'avant.
Ce plan, au mieux, infléchit légèrement la croissance de la consommation de pétrole et des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2020. Pour obtenir des gains importants sur ces deux tableaux, il faudrait insérer le plan d'électrification des transports dans une vision d'ensemble de la mobilité et de l'aménagement du territoire. J'ai déjà présenté cette perspective dans un autre billet, l'an dernier.
Équiterre n'est pas contre la voiture électrique ni l'électrification des transports. Au contraire.
Mais pour nous, d'autres mesures doivent être priorisées davantage : des investissements massifs dans les transports collectifs et un stop à l'étalement urbain, par le biais d'un nouvel encadrement en matière d'occupation du territoire. Nous croyons qu'il faut diminuer nos besoins de déplacements motorisés - en rapprochant les fonctions (commerces, habitations, lieux de travail) et en offrant aux gens des solutions beaucoup plus attirantes que la voiture solo. C'est là une vision qui nous amène à voir les choses de façon large, et qui est de plus en plus utilisée en Europe, notamment.
Le gouvernement a manqué une belle occasion de contextualiser l'annonce de la semaine dernière, de réitérer ses objectifs ambitieux de réduction d'émissions de gaz à effet de serre, de parler de la révision de la Loi sur l'Aménagement et l'urbanisme, qui s'en vient rapidement, de se montrer ambitieux dans le développement des transports collectifs.
En mettant son annonce d'électrification des transports en perspective, au lieu de la faire passer pour la plus belle invention depuis le pain tranché, beaucoup de gens auraient pu voir la vision dans laquelle elle s'insère.
Au lieu de ça, on a eu droit à un gros show de boucane.
Dommage.
- « Monsieur le Premier Ministre, est-ce que pour vous, ce plan, c'est en quelque sorte un legs que vous voulez laisser aux Québécois? », de demander un autre journaliste, soit très impressionnable, soit très, très cynique.
Quelques secondes de silence (il y a une certaine théâtralité chez Jean Charest).
- « Quand je quitterai..., en 2030, j'aimerais bien qu'on se souvienne de moi comme de quelqu'un dont le gouvernement a réalisé ce genre de chose », nous répond-il, le sourire en coin.
- « Je sais que je fais des mécontents quand je dis que je quitterai en 2030... », ajoute-t-il.
Ce gars à un humour certain.
De l'humour, certes, mais ce n'est pas suffisant pour transformer une annonce sectorielle en projet de société.
La transsubstantiation a ses limites.