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La Stratégie québécoise de mobilité durable, rendue publique hier, relève d'un petit exploit de la part du ministre Sylvain Gaudreault, un des plus sérieux et des plus tenaces du gouvernement Marois. En réduisant de près de 1G$ le budget du réseau routier au profit du maintien des équipements de transports collectifs, le ministre s'est attaqué, comme peut-être aucun de ses prédécesseurs auparavant, au préjugé profondément ancré au gouvernement - et en particulier au ministère des Transports - en faveur du développement et de l'élargissement sans fin des réseaux autoroutiers.
Dans un contexte financier et politique très peu favorable, le ministre aura également réussi le tour de force de produire une Stratégie de mobilité durable généralement bien accueillie, malgré le fait qu'elle ne règle, à toute fin pratique, aucun des problèmes structurels qui affligent les services de transports collectifs.
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Le ministre Gaudreault cumule de façon inédite les Transports et les Affaires municipales, deux énormes ministères complémentaires à la culture si forte et aux pratiques si opaques que plusieurs de ses prédécesseurs s'y sont cassé les dents. Y imprégner sa marque relève déjà du petit exploit.
Il faut avoir une volonté de fer pour réussir à changer les grands enlignements budgétaires dans ces ministères. Et il faudra que le ministre continue d'en faire preuve s'il veut finir la réforme qu'il vient d'entreprendre.
Les besoins des sociétés de transports sont gigantesques. Comme le reconnaît elle-même la Stratégie, les infrastructures de transports collectifs souffrent d'un énorme déficit d'entretien, soit 3,9G$ sur 10 ans pour combler les besoins non couverts, en grande partie à la Société de transport de Montréal (STM).
Les sociétés de transports font aussi face à une hausse impressionnante d'achalandage (11% depuis 2007), au point où les grandes lignes à haut débit (métros, métrobus et certaines lignes d'autobus et de train) sont aujourd'hui complètement saturées aux heures de pointe. Là encore, des investissements, eux aussi colossaux, estimés à 7,5G$ d'ici 2020, sont nécessaires pour acquérir le matériel et les équipements requis.
On peut aussi évaluer, sur la base des précédents des dernières années, qu'il en coûtera plusieurs centaines de millions de dollars, à partager entre le gouvernement du Québec et les municipalités, en coûts de fonctionnement liés à l'augmentation des services.
Du gros, gros argent, en somme, qu'on n'aura pas le choix de trouver rapidement, à moins d'accepter la paralysie d'une bonne partie de l'activité économique de la région de Montréal et de Québec, éventuellement engluée dans une congestion incontrôlable et des infrastructures en état de crise.
L'an dernier, une coalition dont faisait partie la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, TRANSIT et les Conseils régionaux de l'environnement, demandait par conséquent une augmentation urgente de 1G$ par année au seul chapitre des infrastructures.
Une Stratégie temporaire, pour causes d'élections
Au printemps dernier, le gouvernement Marois avait convié la population à l'élaboration d'une Politique québécoise de mobilité durable. On devait y élaborer un « nouveau cadre financier plus intégré et plus efficient [...] pour répondre aux défis et aux enjeux » des transports collectifs.
La Stratégie qui en découle ne fait rien de tel.
Elle déculotte bien le secteur routier pour mieux habiller le transport collectif, mais à hauteur d'un peu moins de 190M$ par année. Elle ne fait pas grand chose non plus pour appuyer le développement des services, en se contentant de reconduir les budgets alloués sous le gouvernement précédent (130M$ / année) et de les indexer pour tenir compte, en gros, de l'inflation depuis 2006.
Elle fait beaucoup mieux par contre pour améliorer les services de transports collectifs à l'extérieur des grands centres, ce qui ne coûte pas très cher et peut s'avérer politiquement rentable pour le gouvernement.
Mais on est pas mal loin du 1 milliard de dollars requis par année au seul chapitre des infrastructures.
Pour réunir les sommes nécessaires, il aurait fallu faire des choix qui font mal, électoralement parlant. Notamment en élevant la taxe sur l'essence, le mode de financement privilégié par les intervenants économiques, sociaux et politiques de la grande région de Montréal.
C'est pourquoi le ministre Gaudreault reporte les vraies décisions à plus tard, en créant un chantier particulier sur le financement des transports collectifs, inséré dans le cadre des négociations en cours sur le Pacte fiscal entre Québec et les municipalités.
Maintenir la pression
Malgré un petit exploit politique, la Stratégie du ministre Gaudreault ne changera pas fondamentalement la situation difficile des transports collectifs. Elle permet au moins d'aller au plus pressé.
Elle reporte à plus tard, mais de quelques mois seulement, espérons-le, les décisions difficiles, nécessaires et souhaitées.
Espérons que le ministre gardera les yeux sur le ballon, comme on dit, et que le grand rendez-vous auquel on aurait pu s'attendre cette semaine ne sera effectivement que partie remise.
Chroniqueur invité sur le blogue d’Équiterre, Hugo Séguin enseigne à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. Il est Fellow du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (Cérium) et chercheur associé au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CÉIM) de l'UQAM. Il occupe la fonction de conseiller principal chez Copticom, Stratégies / Relations publiques, où il se consacre aux dossiers d’énergie, de transports et d’économie verte.