Charles-Édouard Têtu
Analyste, Politiques climatiques et énergétiques
Le 6 juin dernier, Pierre Fitzgibbon, alors ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, déposait le très attendu projet de loi 69 (PL69) sur l’énergie. Sa successeure, Christine Fréchette, a repoussé les prochaines étapes1 de cheminement du PL69 pour revoir les balises encadrant la tarification d’électricité, suivant l’annonce de possibles tarifs douaniers par le nouveau président américain.
Au cœur du PL69 se trouve l’élaboration d’un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE). Nous soutenons que le PGIRE devrait être préparé en amont de l’adoption de tout projet de loi concernant le secteur énergétique, y compris le PL69. Une telle planification est réclamée de toutes parts depuis longtemps.
En effet, le PGIRE est un outil stratégique de planification à long terme visant à coordonner de façon optimale l’approvisionnement, la production et la consommation d’énergie. Il est nécessaire pour assurer une prévisibilité dans le secteur énergétique, par exemple pour mieux prévoir les investissements pour des installations de production de composants d’éoliennes.
Lorsqu’il est élaboré au cours d’un processus de consultation large, un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE) permet de dégager une vision collective claire de l’avenir et d’augmenter l’adhésion à celle-ci.
S’il est bien mené, il pourrait également favoriser une transition énergétique cohérente et équitable, notamment grâce à la modélisation de scénarios de sobriété énergétique dans tous les secteurs.
L’absence de progrès entourant le PGIRE est lourde de conséquences. Pendant qu’il tarde à mettre en place une planification digne de ce nom, le gouvernement continue de mettre la charrue devant les bœufs et de dilapider des ressources de façon improvisée. Les annonces se multiplient. On octroie des mégawatts à des projets controversés de multinationales comme Northvolt ou Tree Energy Solutions (TES) alors que la décarbonation des entreprises existantes2 est négligée et que des emplois sont menacés3. On attribue des blocs d’énergie – que nous ne produisons pas encore ! – à des prix en dessous du coût de leur éventuelle production4.
On annonce les plus gros parcs éoliens jamais construits au Québec dans les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean (à Saint-Honoré et dans la zone Chamouchouane), du Bas-Saint-Laurent ou de la Côte-Nord, sous forme de partenariats entre des communautés et Hydro-Québec, sans encadrement clair de la place du privé. Si le PL69 était adopté, il permettrait d’augmenter considérablement les parts du privé dans le système énergétique, sans pour autant que ce changement de paradigme ait été discuté publiquement.
Des choix de société
Les transformations du système énergétique et les investissements devraient pourtant être guidés par l’ambition et la cohérence. Les questions à aborder ne se limitent pas à la quantité d’énergie à produire, puisque pour déterminer nos besoins réels, il est aussi question de choix de société qui auront des impacts à long terme sur notre quotidien et le Québec de demain.
C’est sur une vision partagée et bien comprise que repose notre capacité à réussir une transition énergétique juste et à assurer des tarifs d’électricité abordables pour l’ensemble de la population. Nous devons collectivement nous entendre sur les conséquences que nous pouvons accepter quant à nos choix énergétiques.
Pour le moment, on avance à tâtons, avec des initiatives éparpillées et improvisées qui ne peuvent que peser de façon plus marquée sur l’augmentation des tarifs d’électricité, accentuer les impacts sur le territoire et favoriser les conflits sociaux.
Il s’ensuit que l’opposition s’enflamme autour du déficit démocratique que représentent de nouveaux projets, peu transparents et qui ne s’appuient pas sur une compréhension commune des défis qui se présentent à nous ni des balises et des solutions à considérer.
Avec un grand nombre d’organisations, nous réclamons depuis plus de deux ans5 que le gouvernement mette en place une nouvelle politique énergétique alignée sur la science et une planification permettant d’implanter un système énergétique socialement juste, décarboné et respectueux des limites des écosystèmes. Nous demandons que soient débattus largement et publiquement des scénarios diversifiés intégrant des approches qui réduisent la consommation collective d’énergie plutôt que de répondre aveuglément à une demande industrielle croissante. Nous demandons que le processus soit indépendant et transparent, et qu’il laisse la place à une diversité de voix et d’intérêts de la société.
Nous réitérons l’urgence de se doter d’un PGIRE, qui repose sur une vision publiquement débattue et largement partagée. Sans cette planification, il est imprudent et impertinent d’aller de l’avant avec des réformes législatives, y compris le PL69, qui risquent de ne favoriser qu’une addition d’initiatives industrielles manquant cruellement de cohérence et de transparence.
Cette lettre d'opinion a été initialement publiée dans La Presse le 12 février 2025.
* Cosignataires : Alice-Anne Simard, directrice générale chez Nature Québec ; Martin Vaillancourt, directeur général, Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) ; Denis Bolduc, secrétaire général de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) ; Jean-Pierre Finet, analyste en régulation de l’économie de l’énergie, Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEE) ; Philippe Duhamel, coordonnateur général du Regroupement vigilance énergie Québec (RVEQ) ; Patrick Gloutney, président du Syndicat de la fonction publique au Québec (SCFP-Québec) ; Christian Savard, directeur général, Vivre en ville ; Maxime Dorais, codirecteur général, Union des consommateurs ; Danielle Demers, présidente, Les Amis de la Chicot de Saint-Cuthbert ; Francis Waddell, co-porte-parole du regroupement citoyen Demain Verdun ; Maude Prud’homme, Réseau québécois des groupes écologistes ; Dominique Daigneault, présidente, Conseil central du Montréal métropolitain – CSN ; André Bélanger, Fondation Rivières ; Jean Paradis, Fondation Coule pas chez nous ; Martin Poirier, NON à une marée noire dans le Saint-Laurent ; Odette Sarrazin, Les Amis de l’environnement de Brandon ; Réal Lalande, président, Action climat Outaouais (ACO) ; Benoit St-Hilaire, Prospérité sans pétrole ; Lucie Massé, Action environnement Basses-Laurentides ; Karl Janelle, président, Coalition climat Montréal ; Ann-Sophie Croft-Lebel, chargée de projet, Collectivité ZéN de Rimouski-Neigette ; Valérie Lépine, Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MEPACQ) ; Elsa Beaulieu Bastien, formatrice, Carrefour de participation, ressourcement et formation (CPRF) ; Aimée Lévesque, comité noyau de Rimouski en transition ; Marie-Claire Binet, présidente, L’Assomption en transition ; Johanne Dion, Collectif Entropie ; Émilie Laurin-Dansereau, ACEF du Nord de Montréal