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Actualité  •  4 min

Victoire pour la planète!

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Le dimanche précédant la décision du gouvernement fédéral sur la mine Teck Frontier, vers 20 h, la compagnie Teck Resources Ltd. annonçait qu’elle retirait son projet, qui proposait la plus vaste mine de sables bitumineux jamais exploitée au Canada. Il s’agit d’une victoire énorme pour les défenseurs de la Terre des Peuples Autochtones et pour les citoyens qui se sont mobilisés partout au pays, et surtout, d’un moment historique pour la politique climatique canadienne.

Dans sa lettre adressée au ministre de l’Environnement et du Changement climatique, le PDG de Teck écrit que (traduction) : « Le marché mondial des capitaux évolue rapidement et les investisseurs et les clients recherchent de plus en plus des juridictions que ces dernières mettent en place un cadre qui concilie le développement des ressources et les changements climatiques, afin de produire les produits les plus propres possibles. Cela n’existe pas encore ici aujourd’hui et, malheureusement, le débat croissant autour de cette question a placé Frontier et notre entreprise au centre de problèmes beaucoup plus vastes qui doivent être résolus. Dans ce contexte, il est désormais évident qu'il n'y a pas de voie constructive à suivre pour le projet. Les questions sur les implications sociales du développement énergétique, les changements climatiques et les droits des peuples autochtones sont d'une importance cruciale pour le Canada, ses provinces et les gouvernements autochtones ».

Cette citation est significative, car elle illustre précisément la croisée des chemins à laquelle le Canada se trouve aujourd’hui.

Désinvestissement

Face aux risques financiers encourus à cause de la crise climatique, l’économie mondiale est en pleine transformation. En début d’année, BlackRock, le plus important gestionnaire d’actifs au monde, annonçait que ses fonds de placement éthiques cesseraient d’investir dans les sables bitumineux. Les banques HSBC, BNP Paribas et Société Générale, la plus importante caisse de retraite des Pays-Bas, l’immense Fonds souverain norvégien et même la Banque centrale de Suède ont fait de même. À quelques jours d’intervalle, Jim Cramer, analyste boursier à la chaîne américaine CNBC, s'exclamait : « Je ne suis cependant pas ici pour prendre des positions politiques. Mon travail consiste à vous aider à essayer de gagner de l'argent. Et la vérité est que je ne pense plus pouvoir vous aider à gagner de l’argent dans les stocks de pétrole et de gaz ».

Cette dynamique est au coeur de la décision de l’entreprise Teck : la crise à laquelle l’humanité fait face pousse les gestionnaires de fonds, eux poussés par les investisseurs, à sortir leurs fonds des secteurs qui contribuent au problème pour les réorienter vers les solutions. Force est de constater que le projet Frontier appartenait à la première catégorie plutôt qu’à la seconde.

L’avenir de l’industrie fossile

La surproduction de fossiles nous empêche d'atteindre nos objectifs climatiques. Un rapport publié par le Programme des Nations Unies pour l’environnement en décembre souligne que la production mondiale actuelle de fossiles est 120 % plus élevée que ce qui serait nécessaire pour limiter le réchauffement à 1.5°C. De plus, 85 % de l'expansion mondiale du pétrole et du gaz d'ici 2024 est prévue aux États-Unis et au Canada!

Le prix abyssal du baril de pétrole albertain, qui se situe aujourd’hui aux alentours de 50 $ US, remettait en question la rentabilité de la mine Frontier, qui basait son plan d’affaires sur un baril de pétrole à 95 $ US en 2025. Ce n’est pas seulement le pétrole canadien qui est confronté à cette réalité sur les cours boursiers internationaux : le prix du gaz naturel a également atteint un niveau plancher record.

Les investisseurs et les entreprises privées comprennent donc que les jours des fossiles sont comptés : il n’y a pas d’argument pour la construction de nouvelles infrastructures de transport, d’exploitation ou d’exploration de fossiles. Or, les gouvernements semblent avoir de la difficulté à être honnêtes sur cette nouvelle réalité. À la fin 2019, la Régie de l’économie canadienne publiait un Rapport sur l’avenir énergétique du Canada, qui projetait pour 2040 une augmentation de la production de pétrole brut de 50 % et une augmentation de la production de gaz de 30 %. Ces projections ne sont pas seulement irresponsables d’un point de vue climatique, mais également économique, comme l’exemple de Teck nous le démontre vivement.

Il est donc remarquable que ce soit un promoteur privé qui souligne l’incohérence entre les objectifs climatiques du Canada et les décisions du même gouvernement en matière d’infrastructures énergétiques qui visent à continuer l’expansion de la production de fossiles.

L’impératif de la diversification économique

Dans ce contexte, nous devons être solidaires avec les travailleurs et travailleuses de l’industrie fossile, avec leurs familles et avec leurs communautés. Mais tant que le Canada n’aura pas une réflexion sérieuse sur la diversification économique dans un contexte de crise climatique, nous continuerons de nous diviser à chaque fois qu’un projet d’infrastructure fossile est proposé. Nous devons aussi questionner les dynamiques de relations nation à nation avec les Peuples Autochtones que soulèvent de tels projets. Les tensions sociales résultant des blocages qui se produisent présentement partout au pays en solidarité avec le peuple Wet’suwet’en en sont un exemple percutant.

Si la crise climatique est déjà à nos portes, et que les Canadien.ne.s soutiennent majoritairement une transition énergétique, les questions qui subsistent sont alors : amorcerons-nous à temps cette transition? Aurons-nous un plan solide pour la confronter? Sera-t-elle juste et inclusive?

Dans ses relations avec le gouvernement fédéral, Équiterre met de l’avant des propositions de politiques publiques qui visent à planifier cette transition. Parmi nos propositions, Équiterre demande au gouvernement :

  • D’appliquer à l’ensemble des industries fossiles les recommandations du Groupe de travail sur la Transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes;
  • D’inclure, dans la contribution déterminée au niveau national (CDN) révisée du Canada à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) dans le cadre de la COP26 des mesures pour assurer une transition juste afin de protéger les travailleurs et travailleuses et les communautés affectés par la crise climatique;
  • D’éliminer, dans le budget 2020, les subventions aux énergies fossiles pour libérer des revenus fiscaux et rediriger ces sommes vers un plan de transition juste.

Comme le dirait mon père : si nous sommes sortis de l’âge de pierre, ce n’est pas parce qu’on a manqué de pierres.