Si l'opposition de 82 maires de la grande région de Montréal au pipeline Énergie Est a fait beaucoup réagir dernièrement, il n'en va pas de même pour la version revue du projet de 1,1 million de barils par jour présentée par TransCanada à l'Office national de l'énergie au lendemain de la Conférence de Paris sur les changements climatiques. Pourtant, cette nouvelle mouture réservait son lot de surprises...
D'abord, TransCanada affirme noir sur blanc que la construction d'un port pétrolier au Québec est toujours envisagée.
TransCanada le mentionne deux fois dans sa nouvelle demande: la société poursuit son évaluation avec les transporteurs pétroliers de «la viabilité d'un terminal maritime au Québec», un projet qui pourrait être mené par Énergie Est ultérieurement. Les pipelines seront donc le moyen d'accroître le transport de pétrole par bateau-citerne!
Une augmentation du trafic naval sur le Saint-Laurent?
La volumineuse demande révèle aussi que plusieurs terminaux maritimes pourraient voir le jour afin d'assurer la distribution du brut d'Énergie Est. La nouvelle demande comprend notamment une étude de marché mise à jour selon laquelle «des pétroliers pourront recevoir le pétrole au Québec ou au Nouveau-Brunswick.»
Il pourrait s'agir d'une erreur, quoique la nouvelle demande devrait avoir fait l'objet d'une révision minutieuse en raison de son importance médiatique. Et même si l'affirmation était erronée, elle soulève une importante question: en imaginant que les plans d'Énergie Est ne prévoient qu'un seul terminal, cela signifie-t-il pour autant que les pétroliers partiront tous du même endroit?
Qu'en est-il des installations de chargement de pétroliers existantes, comme le port de Montréal ou celui de Sorel-Tracy? Nous exigeons des réponses à ces questions légitimes, puisque des pétroliers en partance de Montréal circulent déjà sur le fleuve. Rappelons que des navires-citernes plus longs que le plus haut immeuble de la métropole acheminent le brut de la ligne 9 de Montréal à Lévis.
Un moyen pour détrôner le brut américain
Certains détails contenus dans cette version révisée de la demande dépassent le cadre québécois, mais concernent la raison d'être profonde du projet. Par exemple, la plus importante étude de marché du document déposé en décembre indique que le brut de l'Ouest canadien viendra supplanter le brut importé des États-Unis, et non celui du Moyen-Orient ou du Venezuela. Et cette tendance s'observe déjà: en 2015, le pétrole importé au Québec provenait principalement des É.-U (près de 60 %, comparativement à 53 % en 2014), en particulier du pétrole produit au Texas. En passant, le Québec n'a reçu aucun pétrole brut de l'Arabie Saoudite depuis 2006.
Assurément, certains se réjouiront de la diminution des importations américaines, mais les raffineries ne choisissent pas de s'approvisionner en fonction du lieu d'origine de la ressource. Ces décisions sont plutôt prises en fonction du prix et de la compatibilité du brut avec les installations, et de manière à maintenir ouvertes toutes les options d'approvisionnement. La situation aux États-Unis en est un bon exemple: des raffineries de la côte est optent actuellement pour du brut en provenance de la mer du Nord ou de l'Afrique de l'Ouest alors que les ressources pétrolières américaines sont abondantes. Pourquoi? Parce que le brut importé coûte moins cher, tout simplement.
On dit souvent que «le diable se cache dans les détails»... C'était vrai également pour la nouvelle demande de TransCanada.
Shelley Kath, conseillère principale, Smarter Shift
Steven Guilbeault, directeur principal , Équiterre